Le geste artistique est extrêmement puissant. Sur une invitation d’Erik Bullot, en ouverture de son cycle de programmation Le film et son double, aux Laboratoires d’Aubervilliers, Silvia Maglioni et Graeme Thomson nous convient à une expérience performative d’une rare intensité. Déplacer l’endroit de la performance, le démultiplier et le diffracter. Derrière leurs deux écrans d’ordinateurs, où sont stockés des fonds visuels et sonores – films et musiques, d’Oliveira, Rohmer ou Eustache à Schuman – les artistes reprennent à leur compte les rôles de projectionniste et de musicien accompagnateur, qui renvoient au cinéma des origines.
Sous le nom de littérature, d’écriture, se tiennent des pratiques qui n’ont rien en commun. Ni dans les moyens employés ni dans la visée du geste. Ni dans la manière de faire vivre le texte ni dans la façon de convoquer le langage. Le plus petit dénominateur commun que toutes les pratiques scripturales partagent a pour nom les mots, le médium du langage. Ceux qui font servir le verbe au récit, pour qui prime la narration — fût-elle déstructurée, émiettée, kaléidoscopique — se tiennent à des années lumière des explorateurs qui, descendant dans la pâte des mots, font de la littérature l’espace d’un questionnement vital, d’un enjeu viscéral.
Foyer d'Ismaïl Bahri est projeté avec une part manquante. L'enjeu est en quelque sorte de vérifier une hypothèse, celle de l'autonomie éventuelle de ce film, et de la capacité qu'il a de nous donner accès à ce qui se trame dans des images dont il évoque la facture sans les montrer, et qui habituellement, dans le contexte de l'exposition pour laquelle il a été pensé, accompagnent ou préparent sa réception. Foyer donne à voir de simples variations de lumière sur un écran blanc. La vidéo est sonore, ce qui est suffisamment rare dans la filmographie d'Ismaïl Bahri pour être souligné.
Le regard entre dans le film comme un client dans un centre commercial, par le parking souterrain, ce qui suffit à situer le lieu où va se déployer Le centre : So Ouest, complexe comercial de Levallois-Perret. Le propos est d'en traverser les galeries sur le mode de la promenade, en arpentant les différents espaces aux heures où la clientèle n'est pas affluante, après avoir mesuré le terrain que le film se propose de cartographier lsur l'un de ces plans numériques qui indiquent aux plus pressés où trouver d'emblée la boutique qu'ils recherchent.
Nouvelle revue orchestrée par la plasticienne Clotilde Viannay, L'incroyable se propose d'explorer, une fois par an, la question de l'adolescence à travers le portrait d'une figure particulière, qui est elle-même invitée à donner le thème central du magazine. Pour ce numéro 1, Juliette Gréco fait se tourner l'attention des rédacteurs vers la danse.
Le premier plan découvre, par un lent travelling vertical, des arbres dont les branches sombres se détachent sur fond de nuit, puis une route qui passe devant l'hippodrome de Vincennes. Le champ de course draine une lumière électrique dans ce paysage lunaire, traversé par des voitures qui emportent dans la nuit leur indifférence. Cette approche, entre peinture de paysage et cinéma documentaire, dit exactement le fil que Nocturnes va s'efforcer de tisser entre deux registres d'images, les unes plastiques, particulièrement belles et travaillées, les autres arrachées au réel, faites autant que possible, dans un environnement qui semble, avec ses chaises en plastique et ses lumières blafardes, être là pour entraver toute possibilité filmique. Et pourtant quelque chose a lieu, précisément du côté du cinéma.
Grimper sur les murs, faire monter la danse du serpent et attraper le fruit interdit ! Le contexte très convenu – parisien, arty, un peu prévisible – prend soudainement une amplitude énorme. Le travail de Yaïr Barelli réveille des résonnances qui vont aller chercher au plus loin sans que l’on puisse les voir venir. Les différentes strates —sociales, culturelles, biographiques, inscrites également dans une longue histoire — qui constituent toute personne, sont abordées une à une avec intelligence et espièglerie. Rien ne laisse encore présager cette danse explosive.
L’atmosphère est intime, propice au partage, dans le studio perché au 6ème étage de la Gaîté Lyrique. Les spectateurs prennent place sur des coussins à même le sol. Pour cette nouvelle séance de Danses augmentées, Mylène Benoit invite Nina Santes. Self Made Man, le titre du solo de la jeune chorégraphe, établit d’entrée de jeu une tension captivante avec la thématique de la soirée, Danses d’auteures.
Les premiers plans du film sont d'emblée livrés sur un mode exploratoire. Une caméra, manifestement embarquée sur une barque, focalise sur les berges de ce qui pourrait être un lac, comme pour dessiner le contour de cette terre que le film a décidé de nous découvrir. La pellicule réagit étrangement à l'environnement, où l'ombrage des branches penchées au dessus de l'eau induit des variations de lumière importantes. Elle brûle soudain, lorsque le déclenchement de la caméra fait cette lumière s'engouffrer dans l'obturateur de manière excessive. Le sentiment se précise peu à peu d'une entrée elle-même progressive dans ce territoire, mais aussi dans ce support de tournage, le super 8 mm, dont Maureen Fazendeiro rencontre ici les possibilités.
Sur des images abstraites, qui semblent arracher le film qui vient à une nuit obscure, un chant s'installe peu à peu. Une sourate récitée en arabe, non traduite, envoie notre attention vers un territoire incertain, un paysage trouble, comme cet aplat indistinct de couleur rouille d'où vont émerger les souvenirs annoncés par le titre. Le point hésite à se faire, comme si le regard ne pouvait s'ouvrir pleinement sur les récits que le film va rencontrer. La vision se précise lentement. La voix qui se risque dans ce chant liminaire dit ses propres défaillances mémorielles en même temps que le caractère nécessaire de cette sourate qui lui revient d'elle-même dans l'épreuve.