Motu Maeva de Maureen Fazendeiro

Les premiers plans du film sont d'emblée livrés sur un mode exploratoire. Une caméra, manifestement embarquée sur une barque, focalise sur les berges de ce qui pourrait être un lac, comme pour dessiner le contour de cette terre que le film a décidé de nous découvrir. La pellicule réagit étrangement à l'environnement, où l'ombrage des branches penchées au dessus de l'eau induit des variations de lumière importantes. Elle brûle soudain, lorsque le déclenchement de la caméra fait cette lumière s'engouffrer dans l'obturateur de manière excessive. Le sentiment se précise peu à peu d'une entrée elle-même progressive dans ce territoire, mais aussi dans ce support de tournage, le super 8 mm, dont Maureen Fazendeiro rencontre ici les possibilités.

Une voix off, dite à la première personne, évoque les temps de l'enfance et le besoin d'évasion. C'est celle de Sonja, qui revient sur les jours douloureux de sa vie où, encore très jeune, elle découvrira le désir d'une liberté qui s'éprouve intérieurement, mais dont notre environnement immédiat doit recueillir des traces : tous ces objets que nous entreposons ici et là, les disques et livres que nous n'ouvrirons plus mais dont nous ne pouvons nous séparer, les bandes super 8 enfin, où se documente notre vie personnelle, et qui nourrissent peut être le film à venir d'une vie passée. 

Cette île dont Maureen Fazendeiro veut appréhender les contours est aux dimensions du monde. Sans souci de cohérence temporelle ou géographique, les images, montrées comme telles — les perforations de la pellicule font partie intégrante du cadre — nous font voyager d'un continent à un autre, par les paysages et les cultures les plus divers. C'est un film qui est monté comme il se raconte, au gré des souvenirs et d'une mémoire sélective, dont le propre est précisément d'aller à rebours de la temporalité, et de pouvoir rassembler dans un même mouvement des espaces, des traditions et des visages séparés. Motu Maeva nous demande de lier des figures qui ne devraient a priori pas se rencontrer. Le film, à travers le témoignage de Sonja, est une invitation à visiter l'Asie en vivant à l'africaine, les yeux brûlés par le soleil du Tchad. C'est un livre d'images qui veut, par des collages d'espaces et de temps les uns proches, les autres lointains, libérer une poétique du voyage, souvent empêchée au cinéma par une certaine curiosité d'ethnologue, qui a longtemps maintenu tant de peuples dans une représentation toute occidentale des manières de vivre et d'habiter le monde. 

Cette poétique, Maureen Fazendeiro la saisit assurément parce que le geste cinématographique qui est le sien relève à la fois du tourné et du trouvé. Ce n'est pas un film d'archives, mais un film qui approche les archives, va à leur rencontre, se laisse atteindre par la parole qui les traverse. Pour le grec, d'où nous arrive ce mot, l'archive désigne à la fois un commencement et un commandement. S'il n'y a rien d'autoritaire dans Motu Maeva, ni dans les relations qu'il laisse deviner entre la réalisatrice et son personnage, laissons tout de même travailler cette étymologie, et par là, le sens de la matière dont le film s'empare. Nous ne pouvons en effet espérer d'autre lieu pour le cinéma que celui où nous devons nous laisser guider par quelque autre, qui nous demande, et nous fait les dépositaires d'une aventure que nous ne maîtrisons aucunement, qui a déjà commencé quand nous posons les yeux sur elle, mais qui attend nos mains, notre regard et notre écoute pour être transmise après nous, ce qui est le sens même de la vie.


| Auteur : Rodolphe Olcèse

Publié le 30/03/2015