Grimper sur les murs, faire monter la danse du serpent et attraper le fruit interdit ! Le contexte très convenu – parisien, arty, un peu prévisible – prend soudainement une amplitude énorme. Le travail de Yaïr Barelli réveille des résonnances qui vont aller chercher au plus loin sans que l’on puisse les voir venir. Les différentes strates —sociales, culturelles, biographiques, inscrites également dans une longue histoire — qui constituent toute personne, sont abordées une à une avec intelligence et espièglerie. Rien ne laisse encore présager cette danse explosive.
La préparation est pourtant subtile, qui s’opère sous les apparences d’un jeu avec les conventions du spectacle vivant, bouscule gentiment le public et titille la magie théâtrale. Il fait un peu chaud dans cette salle cossue du Centre Wallonie - Bruxelles qui accueille l’une des soirées du festival Artdanthé. Un brouhaha insouciant, presque mélodieux, remplit l’espace, comme encouragé par la musique entrainante, d’un autre temps, qui semble venir des profondeurs d’une scène qui ne nous est pas encore accessible. Une voix hèle depuis les gradins et cette intervention inattendue, brutale, installe le silence. Ca commence ! Yaïr Barelli est là-haut, assis dans un fauteuil, parmi les spectateurs. Ses yeux fermés le trahissent. Il ne nous a pas demandé de fermer les nôtres, comme il a pu le faire dans d’autres contextes. Nous nous regardons. Sa plongée parmi nous crée littéralement du mouvement. Le rideau de scène est bien là, devant nos yeux, énorme paupière dira le chorégraphe qui descend tout en gardant les yeux fermés dans les gradins, se prélassant sur les épaules, porté par les bras des spectateurs, toujours extrêmement poli, avenant. Il nous confie gouter de l’intérieur cette résistance – la résistance du contexte que nous sommes en train de constituer ensemble ce soir là. Ses sens sont déjà aux aguets.
La descente va plus loin qu’on aurait pu l’imaginer, malgré l’annonce délibérée des temps forts suivants, qui déjoue tout effet de surprise. Subrepticement, par des glissements parfaitement maitrisés, le contexte se révèle vertigineux, la cage de la scène et le corps du danseur s’affirment comme lieux de prédilection des pouvoirs terribles. Yaïr Barelli évolue sur le fil, goûte pleinement toutes les fragrances de l’instant. Se défaire de ses vêtements, avec toutes les histoires et normes sociales qu’ils véhiculent et qui nous construisent, s’apparente à un acte de sincérité. Les différentes temporalités d’un récit intime se bousculent avant de laisser place à un mouvement de hanches lancinant, qui étend son emprise sur tout le corps et bientôt déborde l’espace. La danse monte implacable, paysage de forêts, de serpents, de gestes sans entraves. Les mécanismes intérieurs et extérieurs se détendent dangereusement. Gigoter hébété, ramper, bondir, monter sur les parois, attraper cette grappe de raisins, atteindre ce point aveugle où tout contexte dorlote, couve, une veine atavique faite de convulsions et de fulgurances. Magistralement amenée, elle installe le trouble sans que l’on sache quoi en faire ! Comme une bombe qui menace d’exploser entre nos mains ! Ce n’est qu’au moment où Yaïr Barelli se ressaisit lentement que nous comprenons qu’il revient de loin. Le chorégraphe passe du côté des gradins, la scène demeure vide, encore labourée par les courants d’une énergie déchainée.
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La pièce a été jouée au Centre Wallonie Bruxelles dans le cadre du festival Artdanthé