Un homme vêtu de blanc sort de la nuit et avance doucement vers la caméra. Ses mouvements sont lents, comme ralentis. L'appel strident des grillons, qui situe la scène dans un sud chaleureux, devient cette musique du silence que nous pouvons entendre, lorsque vient le soir, dans la torpeur de l'été, une mélodie offerte en prélude à un récitatif à venir. Arborant une casquette de marin, un panier rempli de bouteilles de lait au bout du bras, l'homme semble tout droit sorti d'un roman de Jean Genet. La caméra suit son mouvement vers une lumière étincelante. L'homme est un astre qui part à la rencontre d'un autre corps céleste.
Un vaste appartement. Quelques très courts plans d'insert nous mettent en présence de cet espace désert. Un accord de guitare tranche sur un noir, qui va introduire le premier personnage de ce dont la réalité s'impose. Une comédie musicale. Un guitariste, assis sur une chaise, à côté de son ampli, lance des lignes de musique, entre blues et accords dissonants. La bande sonore du film est créée in situ, et fournit au film une part de son matériau visuel. Rien n'explique la présence de ce musicien, ni celle de la jeune femme au grand manteau, qui va bientôt partager l'espace avec lui, sans le rencontrer véritablement.
Une fois n'est pas coutume, cette cinquième séance du séminaire Cinéma / Parole s'est écartée de la création contemporaine pour porter son attention à une signature des plus importantes du cinéma mondial. Une manière de rappeler que les formes circulent dans le temps et dans l'espace, et que ce que nous pouvons faire doit considérablement à ce que nous avons reçu.
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Prologue de Béla Tarr est un film de 5 minutes, réalisé en 2004, suite à une commande faite par Arte auprès de plusieurs cinéastes sur le thème Visions of Europe. C'est un film dont l'expérience de la première fois est toujours singulière, et qui ne pourra jamais être rejouée. Le dispositif du film fait que, dans la première vision que nous pouvons en avoir, quelque chose se passe qui n'aura plus jamais lieu. Prologue repose pourtant moins sur la surprise que sur la tension, dans la mesure où il s'agit purement et simplement d'une vision, la vision d'un peuple exposé. L'acte de Béla Tarr dans Prologue est de montrer que le discours vient toujours après, dans un second temps, et ne peut que se tenir dans un écart par rapport au film.
Comment filmer la guerre ? Un nombre remarquable (et remarqué) de films présentés cette année lors du Festival de Cannes tentent de répondre à cette question. Elle nous renvoie aux mots de Chris Marker dans Level Five, affirmant que si le cinéma était en odorama, il n’y aurait pas de « films de guerre », car leur projection ne serait pas supportable. La guerre, en tant que telle, ne se filme pas. Ce qu’elle donne à voir, le spectacle qu’elle produit, dont le cinéma n’a cessé tout au long de son histoire de donner des versions, ne dit rien de ce qu’elle est. Ce que le deuxième film de Laurent Bécue-Renard, Of Men and War (Des hommes et de la guerre) – retenu en sélection officielle Hors Compétition et qui sera présenté en séance spéciale le mercredi 21 mai –, nous permet de saisir, c’est que la guerre ne se vit pas non plus. Elle se re-vit, elle surgit après-coup, son visage est celui d’un spectre qui hante ceux qui l’ont fait et ravage l’existence de ceux qui les entourent.
Christophe Loizillon : Est ce que vous pouvez replacer Of Men and War (Des Hommes et de la Guerre) dans votre filmographie ?
Laurent Bécue-Renard : Mon premier film, De guerres lasses (2003), qui était focalisé sur la trace psychique de la guerre chez des jeunes veuves bosniaques, avait été entrepris de manière plus intuitive que raisonnée. J’avais passé près d’un an dans Sarajevo en guerre, il fallait juste que je le fasse. Lors de la distribution du film, au fil des près de 300 débats, en France comme à l’étranger, j’ai été un peu désemparé de l’impact si fort qu’il avait sur les spectateurs. Il était clair qu’il renvoyait chacun à ce qu’il ou elle portait de la guerre. À force, je me suis mis à réfléchir sur cette absolue nécessité à l’origine de ce projet.
Une joyeuse agitation règne dans les espaces du MAC/VAL. La Nuit des musées a commencé avant l’heure. Le jardin est encore gorgé de soleil. Pourtant le public se presse à l’intérieur du musée, naviguant entre les différentes propositions qui ménagent une place de choix à Esther Ferrer, invitée d’honneur de ce printemps, artiste à laquelle le MAC/VAL dédie une très belle exposition rétrospective.
Les 5 et 6 mars 2014 à Paris, dans les espaces vides du Plateau (FRAC Île-de-France), entre deux expositions, une programmation conçue par Philippe Decrauzat et Mathieu Copeland a donné au public parisien l'occasion exceptionnelle de voir deux projections-performances de Bruce McClure.
Letter to Jane: An Investigation About a Still est un film de Jean-Luc Godard et Jean-Pierre Gorin réalisé en 1972 après Tout va bien. Comme son titre l’indique, il s’agit d’une lettre adressée à Jane Fonda (qui joue dans Tout va bien), lue en anglais par les cinéastes eux-mêmes, dans laquelle ils analysent une photo montrant l’actrice dans le cadre de son activité militante au Vietnam, photo alors publiée par le journal « L’Express » et dont nous donnons ici un aperçu.
C’est en écho à l’article de Damien Marguet « La résistance des corps » que nous avons transcrit la double voix de Godard et Gorin. Il nous a semblé que redevenue lettre, traduite en français et publiée sur le même site, cette « enquête sur un cliché » dialoguait avec bonheur avec ce texte. Sans doute les visages de Michael Fassbender et Jane Fonda, malgré les quarante ans qui les séparent, recèlent-ils bien des secrets en commun…
Avec cette transcription et cette traduction, nous avons voulu répondre aux impératifs salutaires énoncés à la fois par À bras le corps dans ses éditos et par Godard et Gorin dans leur film : les artistes et les spectateurs devant être traités d’égal à égal, chacun étant « son propre journaliste ou son propre monteur », il s’agit de se saisir des œuvres, de les travailler, de les traduire pour mieux les comprendre et, qui sait ?, mieux se comprendre.
Marc Ulrich
Le voyage auquel nous invite Jacques Perconte s’apparente à un double mouvement. La traversée d’un territoire, depuis les Alpes, en passant par le Puy de Dôme, jusqu’à la côte atlantique, est l’occasion de plongées à chaque instant renouvelées dans les densités insoupçonnables d’une matière vidéo qui acquiert des textures picturales.
Rarement un geste si large, apparenté à une vision aérienne, aura épousé de si près les rythmes internes des masses géologiques. Les compressions radicales de Jacques Perconte orchestrent des dislocations, des ruptures dans les plaques tectoniques de l’image. Les reliefs — versants ensoleillés et vallées enneigées — se fondent dans des coulées massives, des plis, des rides, des ruissellements travaillent de l’intérieur une trame générative sujette à un mouvement hypnotique, en apesanteur.
Film aux accents polonais, Quel jugement devrais-je craindre ? propose la mise en scène, par le prisme d'un affrontement entre deux personnes, d'une épreuve qui ne prend jamais fin. L'idée de cette troisième partie, qui s'appelle "Le capital", est de faire croire que les actes qui nous sont donnés à voir — faire montre d'une cordialité convenue tout en poignardant son semblable — ont une raison. "Je l'ai fait parce que". 42 raisons sont évoquées pour justifier les coups de couteau dans le dos que nous nous assénons les uns aux autres.