Alessandro Sciarroni nous convie aux abords d’un terrain de goalball, mais ce qui est en train de s’y jouer va bien au-delà du simple match et engage des questions à la fois élémentaires et essentielles : le rapport aux sens, la relation à l’autre, le corps collectif qu’il soit mobilisé par une performance sportive par ou une pièce de danse contemporaine.
Après avoir traversé la très belle exposition Nervia/Laethem–Saint-Martin, parcouru les salles consacrées aux œuvres permanentes, nous arrivons face à une toile ovale, un tourbillon de matière lumineuse qui ouvre le parcours initiatique auquel nous convie Sophie Cauvin. Franchir le seuil de l’exposition, c’est entrer dans un autre espace-temps, s’ouvrir à un monde primordial en train de naître sous nos yeux.
Avec Changement de décor, l’artiste et réalisatrice Gaëlle Boucand signe le deuxième volet de sa trilogie, portait du combatif Jean-Jacques Aumont.
Un jeune homme marche sur un chemin à travers les bois, suivi par une nuée de moustiques. Un téléphone fiché à l'oreille, il énonce les termes d'une équation mathématique des plus difficiles. La caméra, portée, veut être proche de lui, même si ce qu'il dit semble résister à toute compréhension possible. Cette séquence sur laquelle s'ouvre le film, qui se donne comme le portrait d'une sorte de génie de la physique quantique, installe d'emblée une relation entre le réalisateur et ce personnage dont la figure, qui affiche une inquiétude inexorable suscitant une empathie évidente et immédiate, est proprement insaisissable. L'étrangeté annoncée par le titre du film est là, palpable, dès ces premières minutes.
L’architecture, la danse, le désir et le corps, en prise directe — fiévreuse, errante, sensuelle — avec la matérialité d’une ville, Arnold Pasquier dresse un portrait amoureux de Palerme. Le film s’installe d’entrée de jeu, de par son titre même, Borobudur, dans l’écart, dans le déplacement, dans un mouvement trouble et vital. Placée sous le signe d’un conte excessif d’Arthur Rimbaud qui porte à la fois la promesse d’un amour multiple et complexe et laisse s’épanouir, dans le noir profond qui enveloppe l’intimité de cette scène inaugurale, l’ancien motif philosophique de la coïncidence des contraires, la découverte de la ville articule des catégories antagonistes.
Le film s'ouvre sur quelques rues parisiennes, qui nous sont à la fois très familières, et pourtant suspendues dans un entretemps qui n'est pas le nôtre. Sans doute est-ce l'horizon littéraire dans lequel le film veut s'inscrire qui donne à ces premières images cette dimension toute singulière d'impressions à la fois quotidiennes et inhabituelles. Une manière de reconnaître également que si la littérature nous parle, c'est d'abord et avant tout parce qu'elle parle de nous. C'est la raison pour laquelle elle doit pouvoir être reçue par le dispositif cinématographique, et le nourrir. Pour tout bagage on a 20 ans est ainsi enraciné dans notre présent et signe d'un autrefois dont notre environnement peut se laisser traverser.
De Berlin à Paris, de Bruxelles à Glasgow ou encore à Manchester, ses lèvres rouge sang et ses yeux bandés, River Lin sillonne l’Europe depuis bientôt un an, en soignant les maux invisibles et les non-dits des personnes qui participent à sa performance KISS IT BETTER. La rencontre se fait toujours en face à face, le protocole est simple et d’une douceur infinie, le geste artistique se charge d’une efficacité presque chamanique.
Que fait cette jeune femme nue à s’affairer avec des réflecteurs, à porter, visser, hisser des lumières dans les hauteurs du plateau ? Et qui se cache, immobile, sous des multiples couches de frusques bariolées, au centre de la scène ?
Le mot MENACE flotte dans l’air, porté, soutenu par un rythme de basse, vaguement ombragé par un bruit fantôme dont le grondement sourd mais insistant sature lentement le paysage dépouillé du plateau. Une petite flamme vive éclate, l’odeur d’encens se répand irrésistiblement. Luna Paese entame sa pièce par une offrande.
Dans la continuité de White Epilepsy, dont il reprend en un sens le dispositif de réalisation en lui donnant une direction inédite, le film Meurtrière retrouve la question du monstrueux, qui devient ici une figure en dialogue avec des possibilités plastiques libérées par un geste pictural. Meurtrière en effet, par ses motifs et sa texture, tout en restant dans l'ordre qui est le sien — celui d'une recherche sur l'entrée en présence du corps au cinéma — fait songer tout à tour à Goya et à Bacon, parmi bien d'autres, dans la manière qu'il a de mettre en scène une forme de démembrement des corps en quelque sorte dévorés par la caméra. Cette dimension du cinéma comme dévoration était du reste annoncée à la fin de White Epilepsy, par l'apparition, à la fois violente et épiphanique, dans une lumière inattendue et tranchante, de ce visage de femme à la bouche sanglante.