Christophe Loizillon a initié, il y a plus de quinze ans, une nouvelle pratique dans son itinéraire de cinéaste avec un film qui s’appelle Les mains. Le cinéma, comme tous les arts plastiques, a de toute évidence une dimension manuelle et artisanale. Depuis lors, Christophe Loizillon ne cesse de creuser cette possibilité, en la déployant dans le cadre d’une contrainte – celle du plan séquence – dont le sens, et c’est le cas de la plupart des obstacles qui nous viennent, est de réveiller une liberté de ton et de création.
Le duo de chorégraphes est connu pour son goût pour les formes mineures et populaires de la culture chorégraphique. La patience et l'application de l'historien et le penchant vers l'approche expérimentale de l'anthropologue de terrain se conjuguent dans une œuvre toute en couleurs qui essaime de petits bijoux à partir d'une danse de hula hoop —Duchesses (avec Marie Caroline Horminal) — ou encore des défilés survoltés de voguing — (M)IMOSA / Twenty Looks or Paris is Burning at The Judson Church (M) (avec Marlène Monteiro Freitas et Trajal Harrell). Altered Natives Say Yes to Another Excess s'inscrit dans cette lignée, et le titre recèle une affirmation identitaire à travers un slogan aux sonorités de pom-pom girls.
Duo désormais incontournable de la scène parisienne, Cecilia Bengolea et François Chaignaud ont concocté pour leur passage à la Ménagerie de verre un programme sulfureux et aguicheur. Aux images érotiques de l'une répondent les chants voilés mais néanmoins explicites de l'autre. Et ces couplets légers et enjoués ont sacrément besoin d'images crues, empreintes d'une esthétique post-porn pour que la soirée n'en reste pas au stade du divertissement bonenfant.
Olivier Dubois lance systématiquement ses performeurs à la charge, sans cesse recommencée. Cette nouvelle création puise sa force indéniable, non pas dans l’élan vital de chacun de ces dix-huit danseurs et danseuses, mais dans des règles combinatoires froides, efficaces, écrasantes. Les corps chauffés à blanc s’épuisent dans les rouages d’une machine grandiose, désincarnée : Tragédie.
Olivier Dubois nous invite à un rendez-vous d’une rare intensité. Son baiser est vorace, il va chercher dans la bave et la sueur l’élan vital de l’autre, remue les tripes et frôle l’anéantissement. Dans ce corps à corps réduit à sa puissance viscérale, désir et volonté prédatrice hurlent leur nom, des thèmes majeurs qui parcourent l’histoire de l’art sont rendus à la chair.
Sur le plateau du Centre Pompidou, dépourvu de tout autre attirail qu’une tôle de fond qui sera, au gré de la pièce, écrasante, immuable et froide, vibratile ou miroitante, cinq danseurs nous font face. Installé au milieu de ses machines, percussions et autres guitares électriques, Brendan Dougherty reste attentif et concentré. Ce face à face dans un silence absolu semble interminable : la tension monte, devient palpable, se transmet au public qui attend la déferlante de la vague Violet, le souffle coupé. Nous l’imaginons dévastatrice, tant l’électricité statique charge l’air. Elle arrive tout en douceur, elle se saisit d’abord d’une partie du corps bien particulière, différente d’un interprète à l’autre, puis elle s’intensifie, tout comme le son.
Très au fait du fonctionnement et des limites, et donc des possibilités réelles, des outils de prise de vue et de manipulation de fichiers vidéos les plus récents, Jacques Perconte s’efforce de rendre possible, à travers ses films, une expérience tout à fait inouïe du paysage. S’il est évident que son travail repose sur des a priori technologiques considérables, Jacques Perconte sait, tout en mettant l’outil à l’état de question, et en le plaçant au cœur de son travail, se libérer de ce qu’il peut y avoir de mortifère dans la rigueur numérique pour nous faire rencontrer, dans l’image, des traces d’une réalité dont la richesse et la profondeur nous échappent nécessairement.
La nouvelle création de Loïc Touzé s’empare de la mythologie et puise sa force détonante dans les mystères de la Grèce antique. L’usage qu’il fait de la voix nous entraine dans les profondeurs, à la source bouillonnante des émotions primaires. Le rapport de frontalité qu’il instaure fait signe vers ce moment originaire de la performativité où théâtre, danse et chant participaient d’un même geste créateur.
"C’est le cinéma, avec ses puissances pour le mouvement et pour le temps, qui est venu m’informer de la possibilité d’une danse à venir : il fallait recommencer à regarder le corps. Cela supposait de devenir nous mêmes un paysage, une caméra, un rythme, un scénario, une dramaturgie, un acteur, d’avoir un cinéma ambulant dans le corps". Loïc Touzé conjugue mobilité du regard, des corps et des imaginaires et signe une pièce troublante qui ouvre des champs insoupçonnés possibles.
Ecran somnambule, création qui fait suite à une commande de Boris Charmatz dans le cadre du projet Rebutoh au Musée de la danse à Rennes, se développe à partir du solo de la danseuse allemande Mary Wigman, Hexentanz / Danse de la sorcière (1914), qui marque l’avènement de la danse moderne. Pas d’écran ou de projection filmique pour la performance de Latifa Laâbissi : au fur et à mesure du déploiement de cette danse hallucinée, il devient évident que c’est le corps même de la danseuse qui est l’écran des projections troubles de notre imaginaire sur une époque charnière de l’histoire du 20ème siècle.