Olivier Dubois nous invite à un rendez-vous d’une rare intensité. Son baiser est vorace, il va chercher dans la bave et la sueur l’élan vital de l’autre, remue les tripes et frôle l’anéantissement. Dans ce corps à corps réduit à sa puissance viscérale, désir et volonté prédatrice hurlent leur nom, des thèmes majeurs qui parcourent l’histoire de l’art sont rendus à la chair.
Cette performance a été créée au printemps 2012 sous le regard des œuvres du Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris. Elle est par essence nomade, se prête à tout vagabondage, se contente du plus simple décor : un banc sous un halo de lumière, pourquoi pas un éclairage public, dans un parc ou sur une promenade à la réputation sulfureuse. Figure de l’attente, fébrile, offert en pâture, déjà une proie sous nos regards, Thomas Ballèvre s’apparente aux ados égarés de la Cote Ouest des romans de Denis Cooper. Olivier Dubois l’approche d’un pas décidé, il plante ses yeux dans les yeux de sa cible. L’assurance et une certaine contenance rapace transpire de tous ses pores. Sa force d’attraction opère de manière irrépressible, malgré de menus efforts pour y résister. La concentration est extrême, les mouvements nerveux de la glotte laissent deviner la bouche sèche, la déglutition douloureuse.
Dans les souterrains du 104, écrasée sous le poids d’une énorme dalle en béton apparent, la scène se charge de la tension trouble qui déborde les films de Fassbinder. Le temps s’étire, le son monocorde, qui semble reprendre et amplifier le bruit de soufflerie du système d’aération, entre en résonnance avec les ondes de ce magnétisme charnel. Le corps sous emprise cherche des appuis bizarres, traverse des arrêts sur image infinitésimaux, menace de sombrer au déséquilibre. Subrepticement, les genoux se touchent. Une main lourde s’empare de la cuisse frêle. Sous les accords passionnels du Sacre du printemps, les deux protagonistes succombent au baiser. Olivier Dubois lance des charges de prédateur, enlace son partenaire dans une lourde étreinte. Corps à corps et bouche à bouche dont il ne va pas démordre 25 minutes durant. La référence pop à Andy Warhol et à son Kiss, film expérimental réalisé en 1963, qui enchaine des séquences de couples hommes et femmes (en divers permutations) s’embrassant pendant 3’30’’ environ, est balayée dans un flot de bave et de sécrétions. Le bestiaire à l’œuvre s’apparente d’avantage aux images de dévoration qui hantent le pinku-eiga japonais. Rouge, congestionné, Olivier Dubois déploie des gestes de crotale prêt à engloutir sa proie. La brutalité vorace du terrarium exposé par Adel Abdessemed lors de sa récente rétrospective au Centre Pompidou, ainsi que son titre Je suis innocent, semblent irriguer en profondeur cette performance qui met en scène avec une extrême désinvolture la passion jusque dans ses plus sombres élans, jusqu’à satiété, jusqu’au dégoût. Couché à plusieurs reprises, les yeux couverts, les bras écartelés, les changements de rythme dans les ébats suivent l’implacable dramaturgie induite par les caprices de la musique.
Des décharges lumineuses de plus en plus rapides et violentes, transpercent l’atmosphère lourde, pesante, amènent l’aveuglement, intiment à l’absence à soi, ponctuent l’avènement paroxystique de l’image ultime, inavouable.