La gourmandise est éclatante. Les yeux s’écarquillent, les bouches restent longtemps ouvertes dans des grimaces qui figent les visages et découvrent des dents voraces. Les bras et les jambes se raidissent et s’écartent comme pour embrasser le monde. La succion est redoutable, semble répondre à un impératif absolu, en prise au centre même du corps, qui en mobilise tous les ressorts physiologiques et imaginaires – absorption furieuse, résolue, à grande échelle – peut être trop volontaire ?
La descente est vertigineuse. Ce travelling vertical nous entraine dans le secret des strates minérales. La poésie compacte des titres des projets plus anciens menés par l’artiste en Australie nous revient à l’esprit : Each Mineral Flake Of That Night Filled Mountain (2011), Each Atom Of That Stone In Itself Forms A World (2010). La fluidité du mouvement et l’abstraction de l’image nous font perdre pied. Il y va d’une plongée dans les profondeurs de la matière géologique mais aussi visuelle. L’amorce sensorielle de Dangerous on-the-way est redoutable : face à cette projection qui investit toute une paroi de l’espace sombre imaginée par Mel O’Callaghan au cœur de son exposition au Palais de Tokyo, le sol commence à se dérober, nous nous retrouvons comme en apesanteur.
Une épaisse fumée aux fragrances épicées remplit le Studio 3 du CND. L’atmosphère est très chargée, lourde – tout comme les sujets que Marlène Saldana et Jonathan Drillet s’apprêtent à apporter sur le plateau. De Gennevilliers à The Armory Show de New York, de Paris à Marseille en passant par la Suisse, sous le nom de code The United Patriotic Squadrons of Blessed Diana, les deux comparses bâtissent depuis plusieurs années déjà une œuvre haute en couleurs, débordante d’énergie, qui revendique une dimension spectaculaire particulièrement prononcée, pour mieux s’attaquer à des problématiques complexes, liées aux jeux géopolitiques et aux petites et grandes bassesses de la classe dominante.
La ritournelle est écrite d’avance. Il y a quelque chose de très familier et pourtant de très efficace dans ses boucles envoutantes. Les deux pianos à jardin semblent avoir pris une troublante autonomie. Le plateau demeure vide, rectangle blanc minimaliste, terrain de latences et de possibles, surface de résonance qui amplifie les charges impérieuses de la partition de Tobias Koch. L’attente est potentialisée par les jeux de regard des spectateurs placés dans une disposition bi-frontale. La tension est déjà palpable quand Lenio Kaklea pénètre l’espace performatif.
Entre 1981 et 1997 Anne Charlotte Robertson réalise son Five Year Diary, composé de trente-huit bobines de super 8 qui dans leur intégralité composent une fresque du quotidien de plus d'une trentaine d'heures, couvrant non pas cinq mais quinze années de sa vie. La grande originalité de ce travail nous semble être le traitement du son, en l'occurrence de la voix. Le film présente deux sources sonores : une parole enregistrée sur le film pendant le tournage ou extraite d'enregistrements sonores réalisés parallèlement au tournage, et un commentaire ajouté a posteriori, parfois une dizaine d'années après. Cette voix dédoublée peut évoquer les troubles mentaux de la cinéaste qui fit plusieurs séjours en hôpital psychiatrique et qui souffre selon les experts de trouble bipolaire. Lors des projections du journal auxquelles elle assistait elle rajoutait parfois une troisième couche sonore en commentant le film en direct.
En découvrant les premiers courts-métrages de Damien Manivel, dont le second long sorti récemment en salle Le Parc prolonge les beautés tout en ouvrant de nouvelles pistes, l'on pouvait craindre et à raison que le geste de cinéma du jeune auteur déjà bien identifié et plébiscité par la critique n'emprunte de mauvaises voies. Le premier opus court La dame au chien tendait déjà le long de ses seize minutes le fil sur lequel le cinéaste allait faire tenir en équilibre des intentions aussi excitantes que risquées, pour le dire un peu sommairement : installer et faire tenir le malaise d'une situation dans laquelle des corps étrangers mis face-à-face vont se rencontrer pour mieux faire apparaître une dimension fantastique du quotidien dans ce qu'il peut avoir de plus élémentaire, de plus anodin, de plus primaire.
Le titre de l'exposition et les citations qui en tracent le parcours sont empruntées au roman autobiographique de Theresa Hak Kyung Cha, Dictée, qui évoque son expérience de l'exil à travers un dense réseau intertextuel et une expérimentation sur les rapports du texte à l'image. Les différentes œuvres présentées s'articulent autour de ces questions reprises dans le travail d'une autre artiste Coréenne, Sojung Jun, en résidence à la Villa Vassilieff. A travers des œuvres très diverses mais partageant l'interrogation sur l'identité culturelle et le dépassement des frontières autant culturelles que perceptives, l'exposition déploie une image et un discours de la multiplicité.
Le dvd « Experimental films from the Low Lands » édité par Re:Voir est consacré à quelques uns des films réalisés entre 1993 et 1999 dans la Studio één, laboratoire de cinéma indépendant notamment spécialisé dans le super 8 fondé par Karel Doing à Arnhem en 1989 aux côtés de Saskia Fransen et Djana Mileta. Cette compilation comporte des films très divers, complétés par un portrait de Karel Doing par Gaëlle Rouard et un entretien filmé avec Louis Benassi, ainsi que par un livret d'une trentaine de pages comprenant des textes écrits par chacun des cinéastes présentés.
Myriam Gourfink fait l'événement en ouverture du festival Faits d'hiver avec sa nouvelle création, Amas, qui circonscrit pour la danse "un espace qui ne se vide jamais". Le plateau du T2G retrouve une configuration orchestrale, habitée, avant même l'entrée des interprètes, d'un peuple d'enceintes, autant de musiciens invisibles, amplifiant dans un léger grondement, les signaux électroniques de Kasper T. Toeplitz. La lenteur, toujours de mise dans les pièces de Myriam Gourfink, rend sensible la respiration secrète de la forme, ses tensions basses, nourries en flux continu.
La dramaturgie d'ensemble est finement amenée, implacable, subreptice progression de l'informe pluricellulaire à la Pythie impassible dont la voix s'articule dans les cavités intérieures, filtre dans les muscles et sourd à travers les pores, à même la peau nue, alors que le visage et les lèvres restent souverainement immobiles.