Bleu. Bleu à la fois intense, léger et lumineux. Bleu qui dissout les frontières entre le plateau et les gradins, bleu qui invite à le gouter, une fois ôtées les chaussures, à travers ses appuis, comme une sensation physique irriguant le corps jusqu’au lâcher prise. Bleu où plonger et se fondre pour mieux accueillir les propositions subtiles d’Antonija Livingstone et Nadia Lauro.
« Une personne sure d’elle, un volcan, une vague, l’amour, la joie, un charme irrésistible, quelqu’un qui a payé sa place » … l’entrée de chaque spectateur est accueillie par un présage, un constat, une supputation, placée sous le signe d’une « formule magique ».
Etres insaisissables enveloppés par l'obscurité, grands fauves aux désirs inassouvis qui rodent au plus près des spectateurs dans la nuit du plateau, La Ribot et ses deux compagnons, Juan Loriente et Thami Manekehla, mènent une puissante virée sombre. Another Distinguée charrie quelque chose d’épais, de tranchant, de volontairement insoluble.
Du Mexique au Philippines en passant par Londres, Athènes ou encore la Syrie, les artistes réunis par Emilie Villez et Sophie Potelon à la Fondation Kadist s’intéressent aux multiples vies des artefacts, empruntent les outils des archéologues et des historiens, engagent des recherches qui déplient les différentes temporalités à l’œuvre au fil des parcours de ces objets témoins. Les écarts se montrent prodigieusement fertiles entre l’impassibilité des marbres et l’immédiateté du geste chorégraphique, entre l’urgence furtive des slogans inscrits à même les murs d’une capitale et la stabilité harmonieuse des cités utopiques imaginées à la Renaissance, entre le silence protecteur des sables du désert et la fulgurance de la furie destructrice d’un conflit armé. En creux se dessinent des métamorphoses physiques, des circulations sémantiques et juridiques, des rapports de forces – à la fois symboliques, matériels et géostratégiques – terriblement actuels.
La langue claque dans la bouche, les cuisses claquent contre la dalle de béton brut, les baguettes claquent sur les membranes de caisse claire. Mené avec espièglerie, frénétiquement, Horion multiplie les coups. Empruntant à tour de rôles aux codes des films de genre, à l’exotisme et à la déconstruction, différents imaginaires se heurtent allégrement dans la création de Malika Djardi.
Le travail sur les archives semble un passage obligé pour plusieurs jeunes chorégraphes de la scène actuelle. Paula Pi s’acquitte avec bonheur de toutes les complexités de l’exercice et signe une création magistralement incarnée, qui laisse frémir toutes les potentialités d’une rencontre sans cesse recommencée. Ecce (H)omo se situe à l’endroit de l’écart et de la métamorphose.
Ses pièces agissent comme de véritables déflagrations, bousculent les codes du regard, interrogent le statut quo et les stéréotypes, vont chercher du côté des points aveugles de la représentation, ramènent sur le devant de la scène un propos éminemment politique, complexe, foncièrement incarné. Yellow Towel marquait son irruption dans le paysage de la danse contemporaine européenne saluée par un prix spécial lors de l’édition 2014 du festival ImPulsTanz. Dana Michel signe avec son dernier opus, Mercurial George (2016), une création trouble, âpre, profondément bouleversante.
Les ingrédients sont très forts. Chacun risquerait d’induire une orientation univoque, pourtant Marco Berrettini réussit à merveille sa mixture. La nouvelle création, dernier opus de la série iFeel procède d'une ambiguïté troublante, subversive, accueille les contradictions patentes, multiplie les niveaux de réception et les strates d’affects.
Remontant à rebrousse poil l’histoire de l’art et des représentations, toujours prête à démasquer les discours dominants qui persistent et finissent par s’imposer au sens commun, attentive au frémissement silencieux, mutin, de la présence des femmes dans cet univers encore largement soumis à la pulsion scopique masculine, Gaëlle Bourges bâtit une œuvre salutaire dans le paysage chorégraphique hexagonal. Minority Studies, développements récents des théories du genre, références savantes à des peintures qui continuent de peupler l’imaginaire contemporain trouvent sur le plateau des formes toujours justes, empreintes d’humour, terriblement incarnées, subversives.
Le pouvoir hypnotique de iFeel2 semble relâcher son emprise dans iFeel3. Le subtil venin distillé par cette nouvelle création de Marco Berrettini est autrement toxique. Le cercle s’élargit à quatre performers, les boucles répétitives deviennent ellipses où la figure géométrique entre littéralement en conjonction avec le procédé rhétorique, car la trajectoire sans cesse reprise par les danseurs inclut une part aveugle, un manque, une soustraction. Cycle de l’éternel retour, jeu de différences et de répétitions, révolutions en biais autour d’un axe constitué par l’estrade où la musique est produite en live.