Oskar Gomez Mata, meneur de la compagnie l’Alakran, crée depuis une quinzaine d’années un théâtre physique et expérimental fidèl à une conception des arts de la scène en tant que laboratoire pour une nouvelle représentation des êtres dans une nouvelle réalité.
Le tout commence dans le hall du niveau -1 du Centre Pompidou, devant les portes fermées de la Grande Salle : 3 performeurs se mélangent à la file d’attente. Les spectateurs font la ronde autour d’eux avant d’être enfin invités à suivre le petit doigt de Michèle et d’entrer tout en musique directement sur le plateau. Sur un refrain naïf chantonné par Valerio, un autre performeur qui s’accompagne à la guitare, le public est littéralement mis en mouvement, ses habitudes spectatoriales sont radicalement bousculées. Cette forme de déplacement physique et expérientiel si chère à Oskar Gomez Mata, est ici ordonnée à la nécessité de faire constamment des choix, parfois aussi simples que se positionner par rapport aux injonctions peu délicates des 3 performeurs qui mènent fermement l’installation des spectateurs dans les bosquets qui peuplent la scène. Rire et crispation, voire malaise, s’emparent de ceux qui se voient qualifiés de petit peuple parisien. Mais cette adresse directe va au delà de la provocation. Elle vise à installer une relation critique avec le public, appréhendée comme un partenaire authentique. Le spectacle est conçu comme une expérience singulière, à mi-chemin entre la soirée feu de camp en colo – l’amas incongru de banquettes en bois présenté comme monolithe (clin d’œil à Kubrick sur un plateau où vont déambuler des singes en pleine mutation, couverts de matière végétale) pourrait bien faire office de bûcher – et le sit-in pour une cause absconse, les vibrations.
La compagnie l’Alakran revendique une manière spécifique de concevoir la production et la diffusion où le rapport au répertoire s’apparente à la création en danse contemporaine. Les textes, conçus comme de la matière, privilégient le présent absolu et public de la représentation dans une perspective qui met en avant une nouvelle manière de concevoir les relations entre observateur et objet artistique. Ainsi, c’est pendant la représentation que la pièce est achevée. Les spectateurs sont pris dans les feux croisés de répliques qui fusent entre les performeurs. On évoque la grande crue de la Seine en 1911, ou l’histoire ancienne de Genève avec le mont Taurus qui s’est écroulé dans le lac Léman, détruisant des communes alentour. Le lien est rapidement tissé entre cette même sculpture – amas de bancs de salle des fêtes, qui s’écroulera à la fin du spectacle sous l’emprise des vibrations irrépressibles – et les mosquées et minarets visés par les lois xénophobes du moment. L’histoire s’invite dans la discussion. La pièce oscille entre des allures de farce politique et un souffle surréaliste, avant de basculer du côté du cabaret pour un plateau télévisé, capable de sublimer à la fois l’art brut, la performance et les rituels païens dans un cocktail, déjanté et foutraque, à base de quotidien.
La problématique de l’âme est au cœur de cet ensemble théâtral à géométrie variable, qui va puiser dans les arts plastiques, le chant ou la vidéo son énergie délirante, dans une profusion de gestes, de cris, de matériaux futiles. Dans un brouhaha parfois excessif se détachent des moments de pure poésie. Ces partitions d’objets vibrateurs rythment la pièce et en constituent la respiration intime et obstinée. Des produits de consommation des plus banals s’animent de manière plus ou moins violente et leurs vibrations se propagent dans les corps qui les portent jusqu’à gagner les voix qui chantent cet animisme sceptique à l’œuvre. Oskar Gomez Mata signe une définition incarnée de l’âme comme cette possibilité qui nous rend notre capacité créative, le plaisir et la responsabilité politique, le pouvoir (…) d’intensifier, inciter la réalité.