Va, Toto! de Pierre Creton

Le souci - qu’il est beau ! - est qu’au premier jour du FID 2017, il y a Madeleine, le prénom de la première et principale figure humaine de Va, Toto!. Cette femme a un charme fou car non-cosmétique, une élégance qui ne s’invente pas. Nécessairement, comme une autre Madeleine beaucoup plus connue, elle est incollable quand il s'agit de roses.

Oui, Pierre Creton filme toujours dans la proximité de sa vie en Normandie (la campagne de la Haute). Non, pas seulement, pas uniquement.

Madeleine vit à la campagne entourée de poules, d’un vieux chien et de Toto ; sans doute a-t-elle au moins 75 ans, sa chevelure grise n’a jamais besoin d’un apprêt forcé. Il faut dire que Madeleine a décidé de faire d’un sanglier son compagnon, d’élever ce « Toto » au biberon, qu’il tète "comme un cochon"… 
Il faut aussi ne serait-ce qu’esquisser les puissances de cette réunion, la manière dont Toto rapproche progressivement Madeleine d’une autre femme, en plus d’un cinéaste, mais aussi comment elle aboutit à la suggestion d’une disparition finale. Sans en dire trop, si le marcassin fait son entrée dans le film en sortant d’un espace de la taille d’une chatière, il faudra plus loin lui ouvrir une grande porte, avant que cela soit un écran-fenêtre qui l’agrandisse démesurément, dans un écran de sommeil. Après-coup, la logique de l'écran divisé, qui ne manque pas d'interroger lors de ses apparitions, produit son sens.
Ce sanglier n’est pas chassé, malgré les habitudes locales et familiales. Un jour, cela ne s’invente pas, Madeleine est tombée amoureuse d’un jeune artiste qui voulait faire d’elle une comédienne. Pour le rejoindre, elle a refusé une partie de chasse imposée par son père. Un coup du père — une gifle — et la fin de l’obéissance. Madeleine poursuit, raconte d’autres détails, qui, eux non plus, ne peuvent s’inventer.

Et c’est ainsi que le film trouve sa forme, sa délicatesse, ses ouvertures. Il agence en réalité trois portraits où l’animal fréquente les rêves de sommeil de deux hommes et de Madeleine. Pour Vincent, les cauchemars anxieux habités par des singes sont guéris lors de son voyage en Inde. Le compagnon du cinéaste nous fait comprendre que ses hantises étaient liées à la figure paternelle, aux coups reçus. Il décide alors d’ouvrir la fenêtre aux singes et de pisser sur feu son père. Une magnifique scène en Inde, dans une ville sur-habitée de singes (dont la chasse menace d’être autorisée), montre Vincent dormant tout contre les libres chorégraphies de quelques subtils et malicieux énergumènes qui traversent la fenêtre de sa chambre, un écran ouvert.
Si le poids colossal de Toto le sanglier habite une fausse fenêtre, un écran de sommeil, après qu’il ait quitté Madeleine, le passage est étrangement léger et concret pour les singes de Vincent qui franchissent le seuil d’une autre fenêtre, en Inde.

N’oublions pas les chats de Joseph. Mais lesquels ? Ceux qu’il nourrit ou ceux, qui, après que notre homme soit tombé malade et devenu dépendant d’une machine le faisant respirer artificiellement, accompagnent ses nuits comme des fantômes ?

Le film se projette ainsi dans une magnifique poésie animale. Avec des mots et des animaux (on écoute des pages de Michel Surya : Humanimalité. L'inéliminable animalité de l'homme, une lecture de Catherine Mouchette s’interrogeant sur la présence animale chez Lucrèce). Dans Va, Toto !, l’agencement des voix (celles de Françoise Lebrun, de Jean-François Stévenin), des textes, des corps, des grâces, sait fréquenter les parallèles animales.

PS. Le plus heureux, pour moi — spectateur ordinaire : Creton sait approcher des bêtes sans les chercher plus lumineuses ou plus sombres qu’elles ne le sont. Il veille à ne brûler aucun corps, aucun visage. Pour moi, il a toutefois réussi à me faire comprendre pourquoi je voulais brûler de ma mémoire un film de chasse, avec des porcs pour faux personnages.
Avec, pour Va toto ! le seul humour qui vaille. Oui, alors c’est l’histoire de Toto qui…


| Auteur : Robert Bonamy

Publié le 14/07/2017