« Vous aurez beau rapprocher à l’infini deux instants ou deux positions, le mouvement se fera toujours dans l’intervalle entre les deux, donc derrière votre dos » (Gilles Deleuze, Cinéma 1. L’image-mouvement).
Un nom. Des yeux.
Tout commence ici, dans cet intervalle incompressible qui s’annonce par le texte dès les premiers instants. La distance est écrite et le mouvement de fouille s’attrape dans son processus, commence et fini hors-champ. C’est une vague intime qui roule jusqu’à nous, mais s’en ira. Et seule l’écume en restera, assez pour en faire des mots.
Un nom, et des yeux : quelque part entre le langage et le voir, une existence bat et échappe. Dès lors, si son saisissement est compromis, le risque qu’engage le geste filmique devient événementiel et précisément sujet. Il n’est plus question d’affirmer de montrer quelque chose, de prétendre saisir dans un absolu, mais d’essayer. À ce titre, Gil est une expérience : son dispositif nous entraîne dans une quête qui, d’une impuissance inaugurale, procède de forces vives. C’est l’infatigable volonté qui s’éprouve dans ces images que le montage à l’œuvre épuise et aspire, mais c’est aussi l’affirmation d’une impossibilité. D’une impuissance fondamentale, que l’on ne chercherait plus à ensevelir sous des manteaux de maîtrise. Parfois, les choses brûlent à des endroits inconnus du corps : et le nom, et les yeux, ne suffisent plus. Alors on cherche à côté, à côté du nom d’abord, là où la chose n’est plus simplement ce qu’elle est, où l’on peut en déchiqueter les morceaux éprouvés, recomposer du sens sensible. Et la vue, elle aussi, s’avoue meurtrie : on compulse le corps physique à la recherche d’une vérité sans formes. Que reste-t-il ? Le reste, ce qui est hanté. Ce qui se charge de l’autre, qui appuie la ressemblance ou la différence. Les fétiches qui répète l’impensable fusion, l’impossible vérité de ce qui, toujours, demeure inviolable. Ce qui encore, indéfiniment, fuit le saisissement.
« Je voudrais pouvoir trouver une image pour te définir ». À l’image arrêtée, à la trouvaille, c’est le travail qui se substitue : le désir en marche qui rapproche à l’infini, qui plonge une main invisible dans un univers sans contours ni fond. Partout, des yeux pour voir, mais parfois, les choses brûlent à des endroits inconnus du corps : tous les mots, toutes les images, tous les arrachements extérieurs frappent au mauvais endroit. Si près de la cible, pourtant à côté. Gil catalyse cette mélancolie de la chose vibrante et perdue, puissamment vivante et éclatée ailleurs, de l’espace intraduisible de l’autre. La hantise, et le constat de cette hantise. L’affolement des bouts d’existence, des gestes interrompus, des fragments isolés répètent cette avidité et sa fatigue. « Je marche ». Mais à la passivité de l’attente, Gil préfère la marche : le voir est une course, le film, une fougue. Parfois, les choses brûlent à des endroits inconnus du corps. Dès lors, rien ne peut les éteindre. Alors, il reste le geste.
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Festival Côté court - Compétition Art Vidéo