Inspiré des œuvres de Peter Campus, Dor (1957) et Anamnesis (1973)
Je vois la place où je me tiens devenir lieu de rencontre entre soi et l’Autre, et non un autre-part étranger, inconnu de moi.
J’entre, sur le seuil je me vois sur l’écran, de biais, je quitte ma place pour le centre de la pièce, face à l’écran, tu y apparais, traverse le couloir, je te regarde, ton visage, tandis qu’il s’avance vers moi, devient lumière, émotion, puis disparaît dans la nuit de l’écran. La caméra étend la pièce, installe un lieu dans un autre, saisit cet angle qui manquait à ma vue pour te voir.
Tu entres, dans la salle, la vidéo, miroir sans inversement, t’investit, visage et corps, et te solidarise à l’œuvre. Ton corps, épais, lieu du réel, occupe, simple, l’espace disponible.
La vidéo se fait porte-voix, puissance réflexive à l’épreuve du regard.
Deux images, simultanément, s’offrent à toi, toi, image présente insiste, toi, image future du présent se détache. Deux images en 3 secondes – et leurs mouvements.
L’une devient l’ombre de l’autre, aussi colorée pourtant, aussi vive, en ce duo autonome acteur de l’espace circonscrit.
Ce témoignage, découpe du mouvement de ton corps dans l’espace, t’improvise spectateur attendu.
J’active, tu actives, par ta présence, toute une série de gestes personnels, que s’approprie la caméra, qui existe par toi, et compose pour toi un monde aux regards étrangers. Chorégraphie des corps multipliés, images émancipées, épaisses de la durée du mouvement, qui, à la limite du corps réel, répondent par extension de conscience.
La vidéo t’agit, créant l’attente de toi et la poursuite du geste. Là-bas projeté ton corps frappe l’œil, s'autotomise, t’oubliant là, t’abandonnant les souffles de profils déjà presque éteints. Reste l’image, étendue messagère de la différence, mémoire de positions.
Le corps représenté se déplace de l’enveloppe à la chair – la chair comme puissance et comme profondeur, traversée des forces et des intensités, trafic des rythmes, la vie ! La vie, résistance à la fixité du regard, à la production, à la matérialité des formes, d’un solide élan devient messagère spontanée de la transformation – envoyée vers l’œil en attente.
L’œil, réceptacle des formes, attiré par la différence lisible entre les surfac es, entend résonner aux marges du visible, les derniers échos de la disparition – cet effacement des corps, successifs et contemporains. Le corps, puissance originaire indisponible à l’actualité, s’oppose à la vidéo, fixatrice du réel par l’acte. L’œil, mémoire transversale du visible, capte l’événement inassimilable de ces différences.
Mon corps, fixé par la caméra en des points précis de l’espace, points-durées, requière mon unité. Mon corps, images multipliant les rapports, entre décalage et coïncidence, est point de repère dans les va- et-vient de la déambulation, arrivées, traversées et sorties visuelles.
Mes déplacements s’inscrivent point par point sur l’espace visible des projections – l’espace, carte des corps-paysages, est déplié à mesure que le regard dure. L’opacité informelle des déplacements défie la vision, exige la confrontation. Le regard se déploie, déchiffrant les formes du corps, tantôt ici, tantôt là, qui l’appellent à tracer des lignes de déplacement. Les lignes donnent à parcourir, orientent la pensée, destinent l’œil à sa mobilité, la forme fixe, élargit l’œil au global, réclame à la vision la cohérence.
Je peine à croire qu’en face, c’est ailleurs, où la fixité d’un regard manque l’abstraction de ces corps scéniques. Mouvant exil du corps, objet parmi les autres, dégagé d’inertie et libre de contrainte. Moteur, le corps, capable de souplesse, l’image, malléable.
Le corps, partie dynamique du monde
La célérité des corps balaye l’espace, la distance, comme tension de soi à soi, de soi à côté de soi, renvoie aux regards l’unité. Je suis un. Je, source de volonté, intervient là où il a à dire. Distance et proximité, tu arrives au monde, apportant ta distance, la tension se décale de l’un à l’autre, ta marche intégrant la rencontre : toi et moi à côté.
Dans la mobilité des corps, ces rencontres spectatrices
Tu brises la ligne de soi à soi, et partage avec moi l’espace rendu disponible. Du toi et du moi, les lignes se joignent dans leur jonctions et leurs contournements, leur appréhension et leur éloignement, abolissant la distance par l’effort. Ensemble, habitons l’espace commun.
Je t’écoute, toi qui viens, danser ta partition visuelle Rencontres aussi – sur le territoire de l’image – de mon pied et du sol, de mon corps et du territoire, lors de
cette marche orientée du soi, imprévisible et novatrice. Le corps, fait d’espace et de mouvement
Je danse. Présente à l’appel et à la réponse, privilège de la rencontre médiatisée, chorégraphiant un univers de possibles, visibles et densifiés par les réseaux de l’activité cinétique.
L’espace est ici espace du mouvement, surface d’emblée occupée, et que rien n’aménage d’autre que les interactions, impérieuses, spontanées, imprévues. Cet espace, non maîtrisable, capte l’œil perceptif, lui rappelle ses limites par l’hermétisme des projections. Depuis le corps en action à son point d’arrivée, devenu aussitôt départ du dédoublement, se manifeste la force invisible et neuve de sa traversée.
Ici, la traversée réelle se projète – segments abolissant les repères du corps – délimite les territoires : en face de moi, là-bas, ce lieu, différent du mien, requière un mode neuf de repérage.
Ces lieux, hors de tous lieux, ailleurs qui ne sont qu’évocations, sont les miroirs fluides, la possible altérité d’un monde qui donne. Toujours autres que ce qu’ils expriment, ils sont passage, écart temporaire que capte l’œil, renversement médiat de l’ordre du sujet. Passifs, ils ne s’attribuent cela que pour le retourner sous forme d’impératif. Ils sont le Face à du sujet voyant.
Informateurs directs de la conscience, par le retour obstiné au sujet de la version de soi qui donne à réfléchir, ils sont visées vers, rappel sans dissimulation de la nature vivante du corps humain.
L’œil caméra m’indique son champ de vision, y entrer c’est la nécessaire captation du regard, la réflexion du corps sur le mur, et la vue sur une altération de moi-même.
Le spectacle de ces lieux prévient la confusion, l’abstraction du regard, s’interprète surface des diffusions. Il invite à revenir sur soi, au désir d’unité, sans se désolidariser de soi-même. S’il expose au sujet son doublement, il lui rappelle aussi là-bas, son absence. Et le risque du face à face illusoire.
Le double est folie, objet qui ne s’approprie pas, outil virtuel, transition numérique, qui donne vue sur l’être, sans s’en faire la poursuite. Il n’y a rencontre que là où l’autre est.
Percevant et perçue, libre d’extérioriser ma pensée, je cherche l’accord entre ce corps, lieu où je me tiens, et ce lieu tissu des rencontres. Mon corps offre au présent ses traits, et l’énigme de l’apparence.
L’impossible appropriation de l’image rend visible la participation. Le contrat que passent l’œil et l’image postule l’existence du choix. Choix de l’orientation, pose du regard. M a position signifie « je décide de la direction », « je tourne mon corps », c’est accueillir, en mon champ perceptif, ce que le dos rendait lointain. C’est sculpter dans le réel par l’œil scalpel, un champ neuf qui n’appartient qu’à soi.