Mark Tompkins s’empare d’une forme de divertissement très populaire aux Etats-Unis du 19ème siècle, le minstrel show, et nous livre une pièce résolument actuelle qui affronte les stéréotypes en tous genres.
Dans un décor qui joue sur les codes du théâtre de fortune, BLACK‘N’BLUES enchaîne avec une énergie folle des tableaux qui mettent en œuvre des travestissements, parades, batailles de danse et joutes orales placés sous le signe du blackface – la farce des Blancs grimés en Noirs imitant des Noirs qui singent des Blancs. Mark Tompkins interroge le minstrel show en tant que renversement infini des signes de l’identité et du pouvoir. L’exploit du chorégraphe tient du tour de force : plus de 200 ans d’histoire sont évoqués dans un mixe étonnant : vaudeville et burlesque, gospel et stand up comedy, blues et rap. Une certaine chronologie est toujours ponctuée par l’irruption de références au présent qui inscrit la représentation dans une terrible actualité. Les numéros d’entertainment arrachent les ovations du public qui rigole, chantonne et applaudit à chaque fois. L’écriture de Tompkins est magistralement orchestrée, il a le sens du rythme et distille par petites touches un esprit grave et sérieux, culminant au moment d’un blues à couper le souffle.
Ses interprètes sont des performeuses accomplies : elles chantent, ont une présence scénique électrisante et surtout, elles ont la capacité de changer de registre avec une facilité et un naturel rafraîchissants. Les rôles tournent sans cesse : dandy coons – membres du club privé des poulettes, big Mamas en proie à la ferveur néo- protestante et sujettes des manifestations du Saint Esprit, stars de la Motown ou encore rappeuses de cité. Leur performance délurée parachève le brouillage des pistes car le but de Mark Tompkins est justement de passer en revue tous les clichés raciaux de la société occidentale et de faire vaciller les notions de race, de classe et de genre.
Le ton est donné d’entrée de jeu, par une intelligente mise en abîme, dans l’épisode de l’audition pour la pièce : on n’est jamais à l’abri des stéréotypes et préjugés. Les masques sont multiples et les apparences trompeuses : l’amphitryon qui prétend être Mark Tompkins est trahi par le fait qu’il ne porte pas au moins une chaussette rouge ! Le chorégraphe emploie une pluralité de voix qui décline son humour défrisant, plus que nécessaire dans le contexte des crispations identitaires du moment.