Modernisme cinématographique
Jazz et cinéma ont incarné de concert la nouvelle culture du XXe siècle : ils sont en cela historiquement modernes. Manifestations de la culture de masses, l'on a pu les considérer comme de simples rouages de l'industrie culturelle1. Mais nous verrons que la modernité du jazz et du cinéma ne saurait se limiter à un état de fait, à une immanence liée à leur situation historique : la modernité intrinsèque à ces deux formes d'expression s'est doublée d'une recherche esthétique moderniste allant de pair avec celles qui se sont jouées simultanément dans les domaines culturels plus anciens.
Le jazz a scandé les temps forts de l'histoire du cinéma, accompagnant les étapes de sa modernisation technique et esthétique2. S'il était déjà présent au temps du muet, au point que Gilles Mouëllic le considère comme l' « une des premières dimensions sonores du cinéma aux Etats Unis3 », l'on peut dire que c'est avec le jazz que les images mouvantes sont pleinement entrées dans cette nouvelle dimension, que s'est réellement opéré le passage technologique vers le cinéma sonore : nous faisons ici allusion au Chanteur de jazz (The Jazz Singer, 1927) d'Alan Crosland, premier long métrage parlant et chantant. Ce genre musical a aussi accompagné les mouvements de la modernité cinématographique, étant une force motrice et inspiratrice, un facteur esthétique à part entière dans ce que Jacques Aumont a nommé le « modernisme cinématographique [des] années 604 », les « nouveaux cinémas » ou « nouvelles vagues » émergeant en tous points du monde, qui ont représenté selon l'auteur « le plus vif de la possibilité moderniste au cinéma5 », sans constituer pour autant une école esthétique cohérente, mais participant tous d'une même « mise en crise de la représentation6 ».
Bon nombre de ces films font appel au jazz, quand ce n'est pas dans l'esprit de liberté et la pratique de l'improvisation qui les anime7, de façon plus explicite encore dans leur bande sonore. C'est le cas des films américains : Shadows (1959) de John Cassavetes mis en musique par Charles Mingus, dont on entend également certains enregistrements dans Echoes of Silence (1965) de Peter Emmanuel Goldman, Pull My Daisy (1959) de Robert Frank dans lequel intervient, aussi bien en tant qu'acteur qu'en tant que compositeur, David Amram, The Cool World (1963) de Shirley Clarke dont la bande son fut composée par Mal Waldron et interprétée, entre autres, par Dizzy Gillespie ; mais aussi des films européens ou asiatiques, qui témoignent du rayonnement mondial concomittant du modernisme cinématographique et du jazz : A bout de souffle (1960) de Jean-Luc Godard dont la musique a été écrite et jouée par Martial Solal, et celle de Blow Up (1966), de Michelangelo Antonioni, par Herbie Hancock ; prenons encore des exemples moins illustres : en Pologne les collaborations de Jerzy Skolimoswski avec les jazzmen Krzysztof Sadowski (Rysopis, 1964), Andrezj Trzakowski (Walkower, 1965) et Krzysztof Komeda (Bariera, 1966, Le départ, 1967), ou encore au Japon, les compositions-improvisations du groupe Ongaku Sedan Meikyu Sekai (parfois abrégé en Meikyu Sekai) pour Va va vierge pour la seconde fois (1969) et La saison de la terreur (1969) de Koji Wakamatsu, qui fera appel en 1972 au pianiste de free jazz Yosuke Yamashita à l'occasion de L'extase des anges. La musique devient parfois le sujet principal, ou du moins un élément narratif de premier plan : le protagoniste de Tirez sur le pianiste (1960) de François Truffaut, interpété par Charles Aznavour, est un ancien pianiste classique jouant du jazz dans les bars parisiens, et The Connection (1961) de Shirley Clarke est un huis-clos centré sur un ensemble de musiciens attendant leur pourvoyeur d'héroïne, groupe dans lequel l'on compte le saxophoniste Jackie McLean et le pianiste Freddie Redd.
Nous voyons donc que le rapport au jazz serait un sujet d'étude fécond pour l'analyse du renouveau esthétique, des formes de la modernité, au sein du long métrage de fiction (dont la quasi totalité des films que nous avons cité jusqu'à présent relèvent, si l'on excepte le cas hybride de Jean Rouch et le film de Robert Frank qui ne dépasse pas les 30 minutes), modèle dominant du cinéma dans lequel le jazz introduit du jeu, de la liberté. Cependant, nous aborderons ici de préférence des territoires cinématograhiques que les habitudes historiographiques relèguent souvent à la périphérie, et qui induisent un autre rapport au temps que celui du récit : le cinéma d'animation, le documentaire, et le cinéma expérimental, dans lesquels la modernité esthétique du cinéma s'est jouée de façon tout aussi vive.
Musique visuelle
Grâce aux possibilités plastiques de l'animation, le cinéma a intégré l'une des tendances de la peinture moderne : l'abstraction. Certains peintres abstraits ont trouvé dans le cinéma un prolongement d'abord temporel, puis sonore, à leur art : ce fut le cas d'Hans Richter, de Viking Eggeling, de Walter Ruttmann ou d'Oskar Fischinger, pour n'en citer que quelques uns. La peinture libérée des références figuratives se fait musicale8 : le cinéma semble alors être le lieu de rencontre idéal entre la musique et les images, la possibilité d'une synthèse des arts en un art cinématographique total. C'est ainsi qu'une certaine tendance du cinéma abstrait a poussé particulièrement loin la fusion du sonore et du visuel, à tel point que l'on a pu parler à ce propos de « musique visuelle9 » : la synchronisation rigoureuse du son et de l'image tend à produire une unité synesthésique, à donner une forme visuelle au son. Le synchronisme ne se réduit pas comme dans le « mickey-mousing10 » à superposer à l'action musicale des actions figurées par des choses ou des personnages, il produit de nouvelles formes. Comme le disait Norman McLaren, il ne s'agit pas tant de dessin animé que de mouvement dessiné. Un nombre considérable de ces films ont puisé leurs mouvements dans les rythmes du jazz.
Après avoir créé dès 1921 quelques films abstraits pour la plupart silencieux, Oskar Fischinger réalise entre 1929 et 1934 une série d'études en noir et blanc (Studie), explorant la synchronisation audio-visuelle, dans lesquelles les mouvements des formes abstraites épousent au plus près ceux de la musique en cherchant à rendre visible l'impression auditive. Ces études de musique visuelle empruntent essentiellement au répertoire populaire de la musique savante : ainsi, la Studie 7 (1930-31) est une transposition de la cinquième « Danse hongroise » de Brahms, et la Studie 8 (1931), de l' « Apprenti sorcier » de Paul Dukas. Les travaux ultérieurs du cinéaste privilégieront eux aussi la musique dite classique (An Optical Poem, 1937, emlpoie la seconde « Rhaspodie hongroise » de Liszt, et Motion Painting No. 1, 1947, le troisième « Concerto brandebourgeois » de Bach). Mais le jazz, qui a inspiré occasionnellement la peinture abstraite11, se fait aussi présent dans certains de ses films : la cinquième étude (Studie 5, 1930) nous donne à audio-voir, pour parler comme Michel Chion, un morceau de foxtrot, « I've Never Seen a Smile Like Yours » issu de la comédie musicale The Perfect Alibi (1930) et Allegretto (1943), cette fois-ci en couleurs éclatantes, comporte une composition originale de Ralph Rainger pour big band intitulée « Radio Dynamics ». Un autre cinéaste donnera une place prépondérante à ce genre musical, en explorant les mêmes voies synesthésiques, tout en se détachant des tendances géométriques de Fischinger pour une abstraction rappellant parfois Pollock plus que Kandinsky : Norman McLaren. Quatre de ses films abstraits (si l'on excepte les œuvres figuratives telles que NBC Valentine's Day Greeting, 1939, Mail Early, 1941, Five for Four, 1942, et Six and Seven-Eights, 1961), peints directement sur la pellicule, s'inspirent de morceaux de jazz : Boogie-Doodle (1941), un chassé-croisé horizontal de points et de lignes en constante transformantion accompagné par (ou accompagnant) le piano d'Albert Ammons, en un mouvement scandé par des lignes verticales correspondant aux mesures ; Begone Dull Care (1949), bien plus élaboré visuellement et rythmiquement que le précédent, donnant une impression d'unité quasi organique avec la musique de l'Oscar Peterson Trio ; et, tous deux sur des compositions originales d'Eldon Rathburn, Short and Suite (1959) et Mail Early for Christmas (1959).
Mais le cas qui nous intéresse le plus est celui de Len Lye, dont l'oeuvre est très proche de celle de McLaren, quoique ce dernier ait atteint plus tardivement la maturité artistique de son aîné en matière de peinture sur pellicule. Len Lye réalisa de nombreuses bandes abstraites, dans lesquelles le jazz occupe une place de premier plan12, en commençant par Colour Box (1935), dans lequel la correspondance visuelle à « La Belle Creole » de Don Baretto & his Cuban Orchestra. reste assez lâche. Ce groupe se trouve également au générique de Kaleidoscope (1935) accompagné par le morceau « Biguine d'amour ». Avec Colour Flight (1938), les images épousent plus rigoureusement le rythme de Red Nichols and his Five Pennies, tout comme le plus tardif et minimaliste Tal Farlow (1980) suit de ses stries blanches sur fond noir les vibrations des cordes du guitariste éponyme, sans oublier la belle interprétation de Swinging the Lambeth Walk (1939). Si le cas de Len Lye est particulièrement intéressant, c'est dans la mesure où la modernité esthétique de ses films se double d'un envers économique. Il n'est sans doute pas tout à fait innocent que la plupart de ces œuvres abstraites aient été conçues comme des films publicitaires : Kaleidoscope pour les cigarettes Churchman, objets qui s'intègrent dans le flux des formes abstraites, Colour Box pour le General Post Office, et Colour Flight pour Imperial Ariways. Ruttmann, Fischinger et McLaren réalisèrent eux aussi un certain nombre de films de commande à tendance abstraite, mais cependant informés par le message publicitaire qui émerge de ces jeux de formes à première vue gratuits13. L'abstraction visuelle de cette forme de cinéma qui trouve son aboutissement dans un emploi commercial va ainsi de pair avec l'abstraction économique du capitalisme et son fétichisme marchand, tout comme l'art abstrait se prêtait selon Adorno à la « décoration murale du nouveau bien-être14 », dans une conciliation avec l'ordre de choses qu'il semblait en premier lieu renier.
A l'oeuvre abstraite conçue comme totalité autonome, mais pouvant être, du fait de cette pureté séparée de l'altérité du réel, asservie à l'ordre dominant, nous opposerons une pratique du cinéma reposant sur l'hétérogénité et la fragmentation. Le rapport à la musique ne se joue plus dans la création d'une boucle sensorielle, d'une circularité perceptive où le vu et l'entendu ne font plus qu'un : au contraire, ce rapport se nourrira de heurts et de ruptures où chaque élément affirmera son irreductible singularité.
Une forme critique
Aux antipodes du cinéma d'animation abstrait pourrait se situer le documentaire : c'est bien le genre audiovisuel où le souci du réel est en principe le plus fort. Cependant, ce souci n'exclut pas une certaine abstraction, abstraction au sens de réflexivité critique, qui était l'une des caractéristiques essentielles du modernisme tel que le définissait Clement Greenberg15. Le documentaire entre lui aussi dans une phase critique : devenant réflexif, il n'est plus condamné à n'être qu'un reflet objectif et « réaliste » du monde. L'acte cinématographique se manifeste comme un des éléments du réel mis en forme par le film. La forme s'ouvre en devenant critique, consciente d'elle-même.
C'est ce que l'on voit dans Sound ?? (1967) de Dick Fontaine, qui s'interroge sur la musique par l'intermédiaire de deux artistes à l'avant-garde de leurs domaines respectifs : le multi-instrumentaliste Rahssan Roland Kirk, qui intègre souvent des éléments de musique concrète et des sonorités d'instruments insolites dans ses morceaux de jazz, tout en brassant les styles en virtuose, et le compositeur John Cage. Le rapprochement de ces deux musiciens peut déjà être entendu comme un parti pris d'hétérogénéité, dans la mesure où ils font partie de milieux forts différents16. Mais le film ne se veut pas lui-même un simple document sur la musique comme le serait l'enregistrement d'une performance musicale, son point de vue se détache de l'objectivité qui voudrait voir dans le réel un donné déjà constitué, en se faisant plutôt le relais d'une réflexion sur la musique et sur la représentation du son. Cette interrogation sur la musique en général, et sur celle que l'on entend en particulier, est portée par John Cage, que l'on voit dans le première séquence du film, regardant la caméra emportée avec lui dans un mouvement rotatif, un véritable tourbillon de questions à l'image de l'incessante mobilité du son : « Is it high ? Is it low ? Is it in the middle ? Is it soft ? Is it loud ? Does it comunicate anything ? Must it ? If it's high does it ? If it's low does it ? Is it a sound ? If so, is it music ? Is music the word I mean ? Is that a sound ? If it is, is music music ? ». Ce film est donc un véritable essai documentaire, qui non seulement représente son sujet, mais le pense, présentant à la fois le document et son interprétation.
Un cinéaste tel que Johann Van der Keuken donne une orientation plus politique à cette « mise en crise de la représentation » dont nous parlions tantôt, à cette réflexivité au sein de laquelle les images réflechissent sur leurs propriétés (leurs rapports entre elles) et leurs limites (leur rapport au dehors, le réel). L'intérêt du documentariste hollandais pour le jazz est manifeste tout au long de sa considérable filmographie17, mais nous prendrons en exemple deux œuvres qui nous semblent particulièrement fortes de ce point de vue.
Big Ben : Ben Webster in Europe (1967), film que le cinéaste considérait comme étant « peut-être plus que les précédents, un assemblage de moments hétérogènes dans le temps et de points de vues changeants dans l'espace, de fragments, d'élans et d'éloignements, de scènes rarement données dans leur totalité18 », non seulement rompt avec l'homogénéité de la représentation cinématographique, en recourant par exemple à la désynchronisation de l'image et du son : au début du film, l'on voit Ben Webster sur scène, mais la musique n'est pas synchrone, et elle se poursuit après qu'il ait cessé de jouer alors que le musicien reste à l'image, comme si elle émanait de lui – à la fin du film, nous voyons de nouveau Ben Webster en concert, mais au lieu du saxophone, ce sont les sons de la rue probablement enregistrés depuis l'appartement de l'artiste que nous entendons : des enfants qui jouent, des oiseaux qui chantent. L'autre brèche particulièrement significative opérée dans la représentation est le geste qui porte le cinéaste à montrer l'envers du spectacle musical que constitue le jazz : après la première séquence décrite ci-dessus, nous visitons une usine de saxophones. A la fin de cette séquence, nous revenons aux images du concert, mais le bruit de l'usine se mêle encore à la musique. Il s'agit qui plus est d'une séquence tournée à la demande de Ben Webster comme l'indique Van der Keuken dans son commentaire : la pratique du documentaire devient ainsi une véritable œuvre ouverte, collaboration dynamique entre l'auteur et le sujet filmé : notons aussi que Ben Webster apparaît plusieurs fois muni d'une caméra, filmant parfois le filmeur.
L'enfant aveugle 2 : Herman Slobbe (1966) présente aussi une relation participative, le protagoniste se faisant à la fin intervieweur et preneur de son. La réflexivité critique est poussée plus loin encore : au cours du film, nous voyons à trois reprises les entrailles d'un projecteur où se déroule une pellicule. La seconde fois, au deuxième tiers du film, la bobine se coince : cette solution de continuité coïncide avec le récit imprévu dans un tel contexte (celui d'un documentaire sur un enfant aveugle placé dans un institut spécialisé aux Pays-Bas), de la blessure par balles du militant afroaméricain James Meredith lors de sa « March Against Fear » de 1966, narration accompagnée par la « Marche des noirs » d'Archie Shepp. Aux images du film qui s'enraye succède l'image fixe d'une photographie de l'événement, qui confirme l'état de suspension du flux filmique, tout en maintenant une mobilité latente, celle de la révolte, par les gestes (rotation de l'image en gros plan sur le visage du blessé, zoom arrière, puis panoramique latéral) qui font défiler par-delà la chute physique de Meredith cette image de douleur et de colère. C'est ici le dehors du film qui se manifeste, le hors-champ politique de l'esthétique, le réel qui fait incursion dans la représentation et remet en cause son statut d'image séparée. L'événement brutal et hétérogène récuse le réalisme documentaire comme autonomie esthétique, comme régime d'illusion. Il subvertit le film comme totalité close19. Ici le jazz n'est pas le sujet principal du film, il en représente l'envers, le dehors, la figure relationnelle, puisque nous avions déjà entendu cette musique à un autre moment, pendant une autre marche, alors qu'un groupe d'enfants de l'institut, à la manière des boys scout, affronte un groupe d'enfants voyants. Le jazz, et notamment le free jazz par ses liens avec les mouvements de libération afroaméricains, représente alors la communauté des exclus.
Dans ces deux films, nous voyons donc comment Keuken entend montrer l'envers producteur des images. Comme le disait Pascal Bonitzer, le film devient le lieu du « dévoilement du mécanisme » cinématographique, celui de l' « inscription du travail20 » qui sous-tend la représentation.
Figures et fragments
Nous voyons donc que le jazz, à mesure qu'il se fait plus moderne, accompagne un dérangement des formes habituelles du cinéma. Le développement du cinéma underground américain dans les années 6021 coïncide avec l'émergence d'une nouvelle forme de jazz : le free jazz. Il y a eu de remarquables rencontres entre les jazzmen d'avant-garde et les cinéastes expérimentaux, prennant la forme de collaborations où la créativité s'engage à parts égales : Bridges Go Round (1958) de Shirley Clarke, fait de variations semi-abstraites autour des ponts de Manhattan, rejoue deux fois la même séquence d'images accompagnée par des bande-sons différentes, la première étant une composition électronique de Louis et Bebe Baron, la seconde une belle pièce de jazz third stream signée Teo Macero, dont les disques de l'époque mériteraient plus d'attention. Peggy's Blue Skylight (1964), journal filmé d'une grande spontanéité, réalisé par l'épouse de Michael Snow, Joyce Wieland, est accompagné par le piano délicat de leur compatriote canadien Paul Bley. Snow, lui-même pianiste improvisateur, réalise cette même année New York Eye and Ear Control, dont la bande-son est signée par Albert Ayler, Don Cherry, John Tchicai, Roswell Rudd, Gary Peacock et Sonny Murray. Mais ces rapprochements ne se limitent pas à l'époque héroïque du free jazz : plus proches de nous, l'on peut citer Les voyageurs de l'intervalle (1980) de Christian Bidault qui fait intervenir dans sa quatrième et dernière partie, traversée urbaine des lumières nocturnes, un quatuor de musiciens, certains néanmoins plus connus pour leurs bandes-dessinées : Bob Vandebroele (sax), Jean-François Jacob (batterie), Alexandre Wajnberg (contrebasse) et Thierry Smolderen (guitare). Notons aussi l'étroite collaboration entre le trompettiste Wadada Leo Smith et Robert Fenz pour Vertical Air (1996), conçu comme une pièce performative dans laquelle l'improvisation en live fait partie intégrante de l'oeuvre, ou encore Sensology (2010) de Michel Gagné, adaptation synesthésique, dans l'esprit de Len Lye ou de McLaren, de plusieurs morceaux composant le disque éponyme de Barry Guy et Paul Plimley. Dans aucun de ces films (du moins dans ceux que nous avons vus, les films de Michael Snow et de Robert Fenz étant d'un accès difficile) les musiciens n'apparaissent à l'écran. Nous nous intéresserons plutôt aux œuvres reflétant une qualité incontournable du jazz : celle d'être une musique du corps. Nous nous concentrerons en conséquence sur les manières dont le cinéma expérimental a pu aborder la performance, la part vive du jazz qui deviendra part maudite, celle d'un corps musical dont le geste de différence et de rupture va défaire la figuration mimétique.
Dans The Magic Sun (1966), le compositeur et cinéaste Phill Niblock filme un concert de Sun Ra et de son Arkhestra. Ce n'est pas cependant ici le registre documentaire de l'image qui prime, mais son registre plastique : d'une part, Niblock filme en très gros plan les mains, figures et instruments des musiciens, avec un contraste très fort entre le noir et le blanc, et a recours d'autre part à des procédés tels que l'inversion du positif en négatif et la surimpression. Nous ne sommes plus ici face à l'abstraction de Len Lye ou de Fischinger, ni face à une image figurative, il s'agit plutôt de ce « mouvement dialectique systématique entre concret et abstrait22 » qui définit le figural, façon d'envisager l'image qu'Olivier Schefer tient pour l'une des clés du « statut moderne de l'image23 ». Le fragmentation permet à l'abstraction de naître de la figure, de sa matière concrète (la matière de l'image est ici aussi la lumière, les gestes enregistrés se réduisant au terme à une pulsation lumineuse), à la représentation d'être dans une dialectique incessante entre un devenir abstrait et un devenir figuratif, qui, comme le régime esthétique selon Rancière, « fait apparaître le geste de la peinture [nous dirions ici de façon plus globale celui de la représentation24] et l’aventure de la matière sous les sujets de la figuration25 ». Ce film nous présente donc des « figure[s]-défigurante[s] et défigurée[s] : pour autant que ce qu'elle[s] donne[nt] à voir n'est pas le résultat fini d'un processus de mise en forme (l'in-formation imaginative de l'Einbildungskraft de la philosophie allemande), mais l'espace ouvert au processus en œuvre, à sa dynamique et à son devenir26 ». Le montage de l'image et du son n'est pas non plus asservi à une logique mimétique, les plans ne correspondant pas exactement à la musique entendue au même moment : tout comme la musique repose sur le libre jeu des parties individuelles au sein d'une improvisation collective comportant des sections plus ou moins écrites, il se produit dans ce film une libre gravitation des images autour de la musique et vice versa, sans recherche de causalité audio-visuelle : le figural apparaît alors comme force égale à celle qui anime le free jazz. Contrairement à la logique de la « musique visuelle » du cinéma abstrait, la musique est ici représentée par les images sans que l'un et l'autre ne se résorbent dans un rapport d'identité homogène, et sans que l'image ne se referme elle-même sur une ressemblance objective.
Un autre usage de la fragmentation se trouve à l'oeuvre dans Money (1985) de Henry Hills. Ce film se rattache lui aussi au jazz par l'un de ses extrêmes, qui est la musique improvisée ou « free improvisation », radicalisation du free jazz où toute base pré-écrite est en principe abandonnée. Hills, en recourant à un montage extrêmement rapide (les plans durent environ une seconde chacun) crée un véritable kaléidoscope de micro-performances qui convoque un bon nombre d'artistes notoires de la musique improvisée : l'on y aperçoit John Zorn, Arto Lindsay, Fred Frith, Tom Cora, Derek Bailey, Ikue Mori, Joëlle Léandre, Eugene Chadbourne, George Lewis, Bill Laswell, David Moss... Mais il ne s'agit pas que d'un montage musical : le verbal (le propos d'écrivains tels que Ron Silliman ou Jack Collom sur leur rapport à l'argent, dont Hills ne conserve souvent que quelques mots, voire quelques syllabes) et le gestuel (des performances des danseuses et chorégraphes Pooh Kaye et Yoshiko Chuma) sont aussi restitués dans leur charge explosive, car si le montage rapide était vu par Renoir comme une « gifle dans l'oeil », le fait de conserver à chaque fragment visuel son fragment de son synchrone produit aussi une gifle dans l'oreille. Money est aux antipodes des aspirations totalisantes des films abstraits en faisant de la fragmentation son principal mode opératoire. Le corps reparaît alors, qui est le propre du jazz : la primauté du corps, de la performance, sur l'écriture, la composition spontanée dans le geste, qui est ici donné à voir dans sa force émergeante, et qui sollicite assez vigoureusement le corps du spectateur. C'est aussi le montage qui apparaît comme geste, geste de division et de fragmentation autant que de réunification. C'est bien en somme cette nature intrinsèquement fragmentaire qui faisait du cinéma un art moderne pour Dominique Païni qui devient ici éclatante, caractère fragmentaire qui était aussi au cœur de l'esthétique moderne selon d'Adorno27. Païni voit dans le cinéma, tout comme dans la modernité28, une « relation [...] prégnante avec le fragmentaire, l'incomplet, et cela dès la conception et la réalisation des films eux-mêmes29 », jusqu'à le considérer comme un « moderne art des ruines » : le réel ruiné par la prise de vue est mis en forme par le montage, qui n'est qu'arrangement de fragments.
Ainsi l'improvisation comme musique de l'instant trouve sa traduction la plus fidèle dans une esthétique du fragment. Au terme de la logique de l'improvisation qui anime le jazz, de la souvernaité de l'instant qu'il consacre, nous retrouvons la pensée économique de Georges Bataille. Bataille parle ainsi du « sujet libre », cas extrême qui ne comprend plus l'économie dans le sens des intérêts particuliers, comme le fait selon lui le capitalisme, mais agit en conséquence de l' « économie générale30 » qui veut la dépense de tout excèdent, la consumation des biens dans « un mouvement de dilapidation, qui nous anime et même que nous sommes31 » :
Je pose en principe que du « sujet » libre, nullement subordonné à l'ordre « réel » et n'étant occupé que du présent, la folie même donne une idée adoucie. Le sujet quitte son propre domaine et se subordonne aux objets de l'ordre réel, dès qu'il est soucieux du temps à venir. C'est que le sujet est consumation dans la mesure où il n'est pas astreint au travail. Si je ne me soucie plus de « ce qui sera » mais de « ce qui est », quelle raison ai-je de rien garder en réserve ? Je puis aussitôt, en désordre, faire de la totalité des biens dont je dispose une consumation instantanée. Cette consumation inutile est ce qui m'agrée, aussitôt levé le souci du lendemain. Et si je consume ainsi sans mesure, je révèle à mes semblables ce que je suis intimement : la consumation est la voie par où communiquent des êtres séparés.32
Ce sujet libre pourrait être aussi le sujet du free jazz et de la free improvisation, qui s'inscrit, comme nous le montre Henry Hills, dans un rapport au temps qui est aussi un rapport économique, au-delà de la thésaurisation, situé dans une pratique collective de l'improvisation entendue comme pure dépense, n'ayant d'autre souci que de donner forme à l'instant dans son intensité.
1Christian BETHUNE, « Jazz et cinéma : quelles convergences esthétiques ? », dans Filmer le jazz, p.164.
2Bien qu'il soit difficile au cinéma de scinder les deux domaines : l'innovation technique (caméras légères, son synchrone, pellicules sensibles) fut déterminante sur le plan esthétique, favorisant l'apparition des nouveaux cinémas des années soixante, et notamment, dans le documentaire, de ce que l'on a appelé « cinéma direct » : voir à ce sujet l'article d'Anne-Marie LECLERC, « La " caméra-jazzée" : points d'intersection entre le free jazz (américain) et le cinéma direct (québécois) », dans Thierry MALIGNE (dir.), Filmer le jazz, p. 193-208.
3 « La musique est présente dans tous les lieux de divertissement. Le cinéma n'est pas en reste. Que ce soit dans les quelque six cent salles des ghettos qui diffusent des films réservés aux Noirs ou dans les salles plus prestigieuses, les musiciens font partie du spectacle. Quand les vaudevilles proposent des films, ceux-ci sont naturellement « sonorisés », sans coût supplémentaire pour les gérants de salle : les musiciens jouent devant l'écran, de la même manière qu'ils accompagnent les autres attractions. L'âge d'or du cinéma muet et l'épanouissement du New Orleans sont parfaitement contemporains. » Mouëllic cite les exemples et témoignages d'illustres jazzmen ayant accompagné des films muets, au piano, à l'orgue ou sous une formation orchestrale : James Sylvester Scott, Fats Waller, Count Basie ou encore Louis Armstrong., Gilles MOUËLLIC, Jazz et cinéma , p. 15
4Jacques AUMONT, Moderne ? Comment le cinéma est devenu le plus singulier des arts, p. 60.
5Ibid., p. 61-62.
6Cette esthétique du cinéma moderne opposée à la transparence du « cinéma classique […] unifiant l'enregistrement et l'intervention productive, la reproduction et l'artifice », Youssef ISHAGHPOUR la définissait comme « ce qui va de la négation de la neutralité de l'appareil de prise de vues, de l'affirmation de sa relation à la société globale, jusqu'à la mise en crise de la représentation, la distanciation, les interrogations sur les modes de présence de l'image comme simulacre et son rapport à la réalité », D'une image à l'autre : la nouvelle modernité du cinéma, p. 7.
7L'une des grandes influences de Godard, Jean Rouch, dont pourtant les films ne comportent pas de musique jazz, ne disait-il pas vouloir « faire du cinéma comme Armstrong jouait de la trompette » ? (Gilles MOUËLLIC (dir.), Jazz et cinéma : paroles de cinéastes, p. 51) Ainsi pour les commentaires en voix-off de Moi, un noir (1958) : « Il n'y a pas de dialogues écrits. Les deux acteurs principaux, non-professionnels, réinterpétaient leurs scènes en direct, ils improvisaient comme un musicien sur un thème de jazz. Ils connaissaient le thème pour l'avoir joué devant la caméra, et ils en donnaient devant le montage une autre interprétation. Ici, nous sommes vraiment proches de la posture des jazzmen », Ibid., p. 53.
8Les analogies musicales sont effet fréquentes dans les écrits de Kandinsky : il reconnaît à la musique, avant l'avènement de la peinture abstraite, le privilège de l'abstraction (Point et ligne sur plan, 1991, p. 16-17 : « La musique [...] jusqu'aujourdh'hui permettait seule des œuvres abstraites »), parle dans ce même ouvrage de la « sonorité première » (p. 34), de la « résonance » et de l' « harmonie » (p. 41) des formes étudiées, et propose des transpositions graphiques de quelques mesures musicales (p. 52-54). Les analyses de couleurs dans Du spirituel dans l'art, 1969) rapprochent également les tonalités chromatiques (la « sonorité intérieure » des couleurs) des timbres musicaux : ainsi l'orange « sonne comme la cloche de l'Angélus, il a la force d'une puissante voix de contralto. On dirait d'un alto jouant un largo » ( p. 74).
9William MORITZ, Optical Poetry : The Life and Work of Oskar Fischinger, p. 7. Ce terme fut d'abord employé en 1913 par Roger Fry pour qualifier la peinture de Kandinsky (Frances SPALDING, Roger Fry, Art and Life, p. 168).
10Nous renvoyons à propos de l'utilisation du jazz dans les premiers cartoons sonores à l'article de Michele FADDA, « Le cinéma d'animation a rendez-vous avec le jazz », dans Franco LA POLLA (dir.) All That Jazz : un siècle d'accords et désaccords avec le cinéma.
11Pensons par exemple, dans deux registres très différents, l'un géométrique, l'autre gestuel, à Broadway Boogie-Woogie (1943), de Mondrian, ou à Manteca (1948), transposition du morceau éponyme de Dizzy Gillespie par Harry Smith, également cinéaste abstrait, ayant employé ce morceau et d'autres du même musicien dans plusieurs de ses films : « Manteca » dans Number 1 : A Strange Dream (1948), « Algo Bueno » dans Number 2 : Messages from the Sun (1948) et « Guarachi Guarao » dans Number 3 : Interwoven (1949).
12 Ainsi que des films utilisant des images en prises de vues réelles mêlées aux techniques d'animation des films abstraits (peinture sur pellicule, grattage de l'émulsion, impressions d'objets à la manière du photogramme), accompagnés eux aussi par des morceaux de jazz à tendance exotique (tendance marquée chez ce cinéaste qui emploiera des musiques percussives africaines dans Rhythm, 1957, Free Radicals, 1958-79, et Particles in Space, 1966-80) : Rainbow Dance (1936) et Trade Tattoo (1937), et d'autres films un peu plus traditionnels dans leur réalisation employant des standards du jazz : The Peanut Vendor (1933), mettant en scène la marionette d'un singe chantant le fameux air de Moisés Simons, et N. or N.W. (1937), court métrage de fiction au montage audacieux, comprenant des morceaux de Fats Waller, Bob Howard et Benny Goodman. La passion de Len Lye pour le jazz, qui le conduit a inventer de nouvelles techniques cinématographiques pour traduire le cinétisme de cette musique, débordera les limites du cinéma : il réalisera également des spectacles lumineux pour les jazzmen du Five Spot au milieu des années 50 (Roger HORROCKS, Len Lye : A Biography, p. 210).
13 Walter Ruttmann réalisa notamment Der Sieger (1921), pour les pneus Excelsior et Das Wunder (1922) pour la liqueur Kantorowicz, et l'on doit à Oskar Fischinger plusieurs films pour des marques de cigarettes : Muratti greift ein (1934), Muratti Privat (1935), Muratti Tests (1933-34), Meluka Cigarettes Ad (1933-34), et diverses publicités : Euthymol Ad : Pink Guards on Parade (1935), Muntz TV Commercial (1952).
D'autres oeuvres de Len Lye à tendance plus figurative sont aussi des films publicitaires : Rainbow Dance vante les mérites de la Post Office Savings Bank, et Trade Tattoo ceux du General Post Office.
Sur les liens entre l'art d'avant-garde (notamment le cinéma) et la publicité, nous renvoyons aux articles de Michael COWAN : « Absolute Advertising : Walter Ruttmann and the Advertising Film », Cinema Journal, vol. 52, num. 4, été 2013, p-49-73, et « Advertising, Rhythm and the Filmic Avant-Garde in Weimar », October, n° 131, hiver 2010, p. 23-50 .
14Theodor ADORNO, Théorie esthétique, p. 317.
15« I identify Modernism with the intensification, almost the exacerbation, of this self-critical tendency that began with the philosopher Kant. […] The essence of Modernism lies, as I see it, in the use of characteristic methods of a discipline to criticise the discipline itself, not in order to subvert it but in order to entrench it more firmly in its area of competence », Clement GREENBERG, « Modernist Painting » (1960), The Collected Essays and Criticism, Volume 4, p. 85.
16Mais n'oublions tout de même pas que John Cage a collaboré avec un autre jazzman avant-gardiste : Sun Ra, avec qui il enregistra en 1986 le disque John Cage Meets Sun Ra.
17Et ce dès son premier film, Paris à l'aube (1960), balade sur les quais de la Seine accompagnée par une ballade de Darry Hall. Il collaborera d'ailleurs à de multiples reprises avec le saxophoniste free Willem Breuker, qui signera la bande son des films suivants : Lucebert (1962), Temps (1966), Beauty (1970), La vélocité 40-70 (1970), Le nouvel âge glaciaire (1974), Les Palestiniens (1975), Printemps (1976), La jungle plate (1978), Le maître et le géant (1980), Vers le Sud (1981), I Love Dollars (1985), On Animal Locomotion (1994).
18 Johann VAN DER KEUKEN, Aventures d'un regard, p. 114.
19Le film se termine d'ailleurs en sortant entièrement du sujet, le cinéaste nous présentant des images d'un autre film en cours de tournage en Espagne, après avoir noté d'une façon lapidaire le bombardement de Hanoi par l'armée américaine sur la seconde occurrence du projecteur enrayé.
20Pascal BONITZER, Le regard et la voix, p. 22.
21Bien que dès les années 40 des cinéastes tels que Maya Deren, Kenneth Anger, Gregory Markopoulos ou James Broughton aient déjà lancé le mouvement, il atteindra cependant sa plus grande vivacité avec la création des coopératives de distribution telles que la Filmmaker's Cooperative en 1962 et Canyon Cinema en 1967.
22Philippe DUBOIS, « La question des Figures à travers les champs du savoir : le savoir lexicologique : note sur Figura d'Auerbach », dans François AUBRAL et Dominique CHATEAU (dir.), Figure, Figural, 1999, p. 14.
23Olivier SCHEFER, « Qu'est-ce que le figural ? », Critique, n°630, novembre 1999, p. 912. L'auteur présente ici le figural comme mode de pensée propre à l'image : « comment l'image peut-elle penser par elle-même, indépendamment de tout discours ou concept (commentaire, sous-titre) qui l'accompagne ou la justifie ? ».
24Et plus précisément celui de la représentation cinématographique, ce clignotement lumineux étant l'un des éléments matériels de l'image filmique, rappellant l'obturation comme condition de possibilité de la projection.
25Jacques RANCIERE, La fable cinématographique, p. 15.
26Olivier SCHEFER, Ibid.
27Le montage, qui est justement l'une des opérations fondamentales du cinéma, est ce qui dans les autres arts produit un « effrangement », une hétérogénéité caractéristique de la modernité. Cette « invasion de fragments issus de la réalité empirique » (Theodor Adorno, « L'art et les arts », L'art et les arts, p. 73) est la condition par défaut, la condition moderne du cinéma.
28« S'il fallait tenter de dégager l'un des plus petits dénominateurs communs de l'art moderne, je désignerais la notion d'inachèvement qui me semble une des inquiétudes communes aux plus grands inventeurs de formes au Xxe siècle », Le cinéma, un art moderne, p. 22.
29Ibid., p. 138.
30Consistant, avant même les considérations économiques au sens habituel, à « poser les problèmes généraux liés au mouvement de l'énérgie sur le globe » (Georges BATAILLE, La part maudite, Oeuvres complètes VII, p. 28), et dont le principe est le suivant : « l'organisme vivant, dans la situation que déterminent les jeux de l'énergie à la surface du globe, reçoit en principe plus d'énergie qu'il n'est nécessaire au maintient de la vie : l'énergie (la richesse) excédante peut être utilisée à la croissance d'un système (par exemple un organisme) ; si le système ne peut plus croître, ou si l'excèdent ne peut en entier être absordbé dans sa croissance, il faut nécessairement le perdre sans profit, le dépenser, volontiers ou non, glorieusement ou sinon de façon catastrophique », Ibid., p. 29.
31Ibid., p. 44.