3 questions à Frédéric Bayer-Azem

Après avoir fait un premier film avec le G.R.E.C, Frédéric Bayer-Azem a réalisé plusieurs courts métrages, dans des configurations très diverses. Il revient sur Les vendéennes, un film où l'audace ne le cède en rien à la liberté, qu'il a co-signé en 2015 avec Johan Michel et tourné avec très peu de moyens.

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ABLC :  Peux tu décrire brièvement la manière dont s'est développé Les vendéennes ?

Frédéric Bayer-Azem : Je venais de faire Geronimo et le côté grosse équipe de tournage m'avait un peu lessivé. Et puis, j'avais l'impression que les gens adoraient le film pour des raisons qui m'emmerdaient. Les mots "pop", "psyché" et "cool" commençaient à me donner de l'urticaire. Bon, ça va, personne n'a dit "arty". Donc je voulais faire un film contre Geronimo, en quelque sorte. Johan que j'avais rencontré un an auparavant car j'avais joué dans son premier film me propose qu'on parte dans une aventure ensemble et connaissant la sensibilité au sucre roux de Johan, c'était bien sur très tentant. Nous sommes donc partis à Oudon (entre Angers et Nantes), avec quelques amis, mais sans direction véritable, à part l'idée un peu vague de faire un film autour d'un père et son fils qui partent en vacances et qui rencontrent deux filles. 

ABLC : La narration part dans mille directions, cherche à peine à tisser un lien d'une séquence à l'autre. Il y a cette idée que c'est une sorte d'incohérence apparente qui peut ouvrir des espaces de visibilité et d'hospitalité.

Frédéric Bayer-Azem : La question du lien, elle s'est surtout posée au montage. J'ai toujours été sensible au fait que c'est souvent lorsqu'on a perdu espoir que sans s'en rendre compte, soudain, on se retrouve en terrain connu. Johan et moi, on marche beaucoup à la foi. L'idée que derrière toutes ces images et ces sons, il y a de la grâce. On creusera et on trouvera. Sur le tournage, c'est vrai qu'on se laissait complètement aller aux courts circuits, à la dilatation, à la répétition. C'était formidable car ça questionnait sans cesse la causalité. La scène d'inspiration grecquo-romaine, elle arrive à un moment du tournage où je sens qu'il est temps de s'abandonner au mythe (mais moins pour une question de narration que pour dynamiser la vie du tournage), qu'il y a peut-être la possibilité d'une fuite. C'est peut-être idiot mais quand Sarah parle des lèvres qu'elle voudrait effleurer, je pensais très fort à celles du public. Arriver à partager quelque chose émotionnellement, sans être dans un chantage performatif et narratif, qui passe uniquement par l'expressivité d'une image. Ensuite, Johan a imaginé qu'on pouvait raccorder ça à une scène drôle où on requestionnerait encore la représentation des filles, mais par l'auto-stoppeur qui s'improviserait professeur d'art dramatique, sans qu'on sache vraiment pourquoi. On est vachement différent avec Johan, mais il y a un truc qui nous rapproche, c'est cette envie d'en passer par la tendresse pour mieux rire avec les personnages. On ne tissait pas un récit, car on savait inconsciemment qu'une résolution ne passerait pas par la scénarisation classique, mais par une sorte d'alchimie transcendantale, plus forte que nous, un peu comme dans Voyage en Italie de Rossellini. Bon, c'est mon humble avis, il faudrait demander à Johan ce qu'il en pense. Je me souviens des mots de Borges : "Ne pas oublier le Goofus Bird, un oiseau qui construit son nid à l'envers et qui vole en arrière, car il ne se soucie pas de savoir où il va, mais d'où il vient".

ABLC : As-tu le sentiment que l'absence de moyens te donne plus de latitude pour assumer cette audace, cette mise en danger du dispositif fictionnel que tes films cherchent tous d'une certaine manière à provoquer ?

Frédéric Bayer-Azem :C'est difficile à dire car j'ai toujours été libre sur chacun de mes films. Après, je suis lucide, je sais très bien qu'un projet comme ça est infinançable. C'est même pas la peine d'y penser. On a en face de nous des commissions ou des gens qui pratiquent un "Etat d'urgence" artistique où aucune tête ne doit dépasser du caniveau naturaliste, où tout le monde vient contempler la même gerbe. Pour moi être audacieux, c'est n'être accroché à aucun wagon pour mieux sauter dans le vide à pleine vitesse. Le premier jour de tournage, on tâtonnait vachement mais il y avait déjà la satisfaction de voir vivre un plan qui donnait matière à d'autres plans ou d'autres enjeux. On divaguait, on somnolait, on se posait, on tournait. On n'aurait pas pu se permettre ça avec une production classique. On dit souvent qu'un realisateur ne doit pas perdre le fil, je trouve que c'est d'une immense tristesse. Regarde Boulevard de la mort de Tarantino, c'est génial. Y'a pas de fil, la dedans. Ça fait que papoter entre des cascades... Je suis sûr que Tarantino tournait à l'instinct et faisait ce qu'il voulait. C'est le film fou d'un mec qui crie son amour du cinéma. La mise en danger, elle passe par le fait d'accepter que tout est matière à infecter le tournage. Je crois que dès le début du projet, Johan et moi, on a tout de suite pensé à cette idée simple que des personnages doivent pouvoir user du temps du tournage pour exister. Des personnages - pas des acteurs - qui croient chercher un parcours, en quête de leur propre "scenario". Je trouve que Sophie Clavaizolle a laissé echapper une part d'elle même qui va mettre en danger le fantôme de son personnage, une espèce d'ascèse de l'incertitude. Les gens qui s'abandonnent me touchent beaucoup. Quand je revois Les vendéennes, je trouve qu'il y a une vérité qu'aucun "acteur" n'aurait pu approcher. Avoir un simple 5D et le strict minimum en matière de prise de son nous permettait aussi de nous rappeler que la beauté est à portée de mains et passe par un geste simple. Sans moyen, on ose lutter et on ose vaincre. Ça peut paraître incantatoire de dire ça, mais je t'assure que pour moi personnellement, c'est une victoire que ce film existe. Quand je vois le film d'un étudiant en cinéma, je ne vois pas d'urgence ni d'envie de filmer l'invisible. J'ai trop souvent l'impression de voir un catalogue de faits et d'actions, un peu comme un kit pour monter ton armoire. Faire un film comme Les vendéennes, ça m'a vraiment rappelé que sans aller au bout de la perte, on ne remet rien en question.


| Auteur : Rodolphe Olcèse

Publié le 28/01/2016