Ses interventions performatives étaient très attendues. L’instant, le vivant, voici son terrain de prédilection, même si le projet curatorial MISSING MISSING au centre d’art contemporain La Ferme du Buisson nous a montré qu’Emily Mast arrive parfaitement à négocier la temporalité longue d’une exposition monographique.
L’artiste affectionne tout particulièrement la procession comme medium lui permettant de prendre explicitement en charge la présence et la circulation du public, de travailler la dimension temporelle en privilégiant les ruptures de rythme, les accélérations, les passages, les latences, et de s’intéresser étroitement à la dimension architecturale des espaces. Les connaisseurs de son œuvre gardent un vif souvenir de l’itinéraire que l’artiste avait imaginé dans le campus et les souterrains du LACMA (Los Angeles County Museum of Art) en 2014. Pour ses interventions parisiennes, Emily Mast a, une fois de plus, très finement abordé la dimension in situ de son travail.
Dans le labyrinthe underground du Silencio, l’artiste a choisi de privilégier la carte de la disjonction entre le live, sa captation et sa retransmission en direct. Le public était invité à gouter pleinement à l’incertitude, à multiplier les points de vue, à faire l’expérience du temps de la performance dans une spatialité foncièrement éclatée entre les recoins du club et l’écran qui accueillait la projection de l’intégralité des actions.
Dans les grandes salles serties de miroirs et boiseries du Mona Bismarck American Center, la même séquence chorégraphique déploie de nouvelles fragrances. Les couleurs sont vives, les gestes, toujours aussi précis, sont aérés, les angles dans les corps de deux danseurs résonnent à merveille avec les beaux volumes de cet hôtel particulier avenue de New York. Cette salutaire propension vers l’absurde en conjonction avec le faste néo-classique des espaces nous conduit vers une véritable traversée du miroir, un somptueux lustre semble vriller et prend des allures de boule à facettes, l’atmosphère est enjouée et lumineuse. Emily Mast multiplie les pistes, revisite des éléments des ses anciennes pièces, les met en dialogue de manière inspirée. Une ritournelle obsessive augmente la présence hiératique d’un danseur dans la première salle. L’artiste lance les nappes sonores, donne le tempo, soigne les transitions, car chaque espace jouit d’une note particulière. Plasticité et résistance, sensualité moqueuse d’un corps qui ne s’offre au regard que de manière fragmentée, boucles de mouvements de plus en plus rapides qui visent dans une folle accélération à l’essence du rythme, réversibilité des actions teintées d’humour, sens de la surprise, poétique incongrue de tableaux vivants – les matériaux corporels déploient une riche palette, engagent à chaque fois différemment l’expérience spectatoriale dans un espace-temps pleinement partagé.
This Is the Rhythm of the Night éclate sans crier gare, alors que derrière de lourds volets le soleil du solstice est déjà fort, s’infiltre subrepticement dans nos mémoires, nous comble d’un sentiment indicible où nostalgie et joie un peu ringarde se mêlent drôlement bien. Le tube nous accompagnera le reste de la journée. Emily Mast travaille par contagion, et cette opération extrêmement simple est tout aussi effective aujourd’hui qu’en 2006 quand l’artiste concoctait patiemment son Canoe Concert (annonce et performance) sur un plan d’eau dans le Maine. Voici une manière très inspirée de clore cet INDEX parisien. La boucle est bouclée, mais en connaissant les dynamiques de son parcours, gageons, en paraphrasant le titre d’une autre de ses pièces — ENDE (Like a New Beginning) — qu’il ne s’agit que d’un nouveau départ !
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INDEX d'Emily Mast, performé au Mona Bismarck American Center, dans le cadre des Hospitalités du réseau TRAM, le 21 juin 2015.