Ecce terra, et cetera / Guillaume Linard-Osorio

Quelque chose de difficile à nommer nous happe dans les images d’Os Candagos  (2010, vidéo couleur, DVPAL 4/3, 8 minutes). Les terres rouges s’étendent vers un horizon lointain, ouvert. Des architectures singulières déploient leurs lignes de force rétro-futuristes. Les mouvements patients de la caméra font état d’un foncier inachèvement, épaississent cette trouble atmosphère d’indétermination, entre le chantier et la ruine, entre l’attente et l’oubli, dans un moment suspendu, qui semble se suffire à lui-même. Aucune présence humaine ne vient perturber la beauté aride des perspectives. Nous sommes pourtant à mille lieux de l’esthétique froide, désincarnée, quasi-transparente de l’imagerie de synthèse générée par l’architecture. L’image est, au contraire, granuleuse, les couleurs chatoyantes, riches de ce piqué si particulier qui caractérise la pellicule. Des bourrasques de vent soulèvent des tourbillons de poussière. La construction des plans larges, déserts, témoigne d’un savoir faire proprement cinématographique. Le montage s’accélère, rythmé par un improbable jeu de champs/contre-champs, déclenchés et structurés par des micro-événements énigmatiques. Un étrange mouvement anime les images, travaille en profondeur leur texture, dont des pans entiers menacent de s’écouler dans des failles insaisissables qui muent à toute vitesse, entrainées par un irrésistible ondoiement. Un fil narratif taiseux et coriace semble courir les strates insoupçonnables de l’image, exposant ainsi les présences fantomatiques qui l’habitent.

Os Candagos à l’œuvre. C’est une histoire d’architecture, de cinéma, de pouvoir et de partage du sensible. Guillaume Linard-Osorio détourne, à l’intérieur même de la matière filmique, les codes de la représentation. C’est un travail minutieux et patient. L’artiste reprend, image par image, une séquence du film de Philippe de Broca, L’homme de Rio et s’attèle à y effacer toute trace de vie. Jean-Paul Belmondo partage ainsi le même sort que foule de seconds rôles, figurants et autres silhouettes qui lui donnent le change. Le film se libère ainsi, par ce geste radical, de l’emprise de la fiction burlesque, révélant pleinement de surprenantes potentialités documentaires. Le chantier de Brasilia qui, en 1964, faisait office de décor pour le long-métrage de Philippe de Broca, devient ainsi le personnage principal de cette œuvre. Guillaume Linard-Osorio s’empare de la technique de la rotoscopie pour faire signe vers un acte d’effacement autrement plus violent et durable : les travailleurs (appelés aussi candagos) ayant participé à l’édification du chef-d’œuvre d’Oscar Niemeyer, logés au moment même du tournage sur le chantier, n’ont pas droit de cité dans la fiction, soigneusement éloignés de l’image. Le fourmillement inquiétant qui laboure les panoramiques du film de Guillaume Linard-Osorio invoque toutes ces présences indispensables. L’image vibre littéralement. Os Candagos tient sa force des tensions qui le sous-tendent, entre visible et invisible, passé et futur, fiction et documentaire, le vivant et le minéral.

Toujours dans le cadre de l’exposition qui lui était dédiée à la galerie Alain Gutharc, l’artiste, diplômé de l’Ecole Nationale d’Architecture Paris Malaquais, montrait des sculptures et installations. Du ciment, une grille de fer à béton, une feuille de BA13, du mortier, voici des matériaux qui interpellent tout particulièrement Guillaume Linard-Osorio. D’ailleurs, dans une installation qui préfigurait d’une certaine manière, la proposition de Lara Almarcegui pour le pavillon espagnol de la 55ème Biennale de Venise en 2013, l’artiste les exposait déjà à l’état brut, pures promesses, exhalant leur potentialités, libres de toute contrainte formelle le poids excepté, dans Le champ des possibles, à la galerie Roger Tator à Lyon en 2010. Des perles, du fard à paupières ou encore des chewing-gums viennent se joindre à ces éléments pour cette nouvelle exposition. Les formes sont minimalistes. Guillaume Linard-Osorio travaille des blocs de possibles. Ce qui intéresse l’artiste se joue à l’intérieur des conglomérats improbables, au contact et dans les tensions entre les perles et le ciment, par exemple. Les chewing-gums aux couleurs acidulées viennent s’agglutiner sur une sphère cabossée de mortier comme autant de stigmates de ses éventuels déplacements. La légèreté du fard aide la pièce de ciment à défier la gravité et s’accrocher au mur. L’épaisseur des choses et la trace des gestes qui la creusent se montrent dans les béances d’une plaque de BA13. C’est finalement une survivance atavique, paradoxale qui affecte la mémoire de la matière et semble nourrir, de manière souterraine et implicite, ce travail.

Guillaume Linard-Osorio organise par ailleurs une exposition événement, sous la forme d’une rencontre entre l’artiste suisse Béat Lippert et la vidéaste Pauline Bastard. Des objets du quotidien, d’autres plus inattendus, dans leur banalité ou reproductibilité infinie, avant d’être réduits en poussière, constituent l’un des points de départ de cette Cohabitation sur laquelle nous reviendrons plus amplement. Affaire à suivre.  


| Artiste(s) : Guillaume Linard-Osorio
| Lieu(x) & Co : Galerie Alain Gutharc

Publié le 13/03/2014