Entretien avec Jayne Amara Ross et Frédéric D. Oberland

ABLC : Comment s'est mis en place le collectif FareWell Poetry ? S'agissait-il d'abord d'un projet musical ou d'un projet de cinéma ? Est-ce que l'idée est venue d'emblée de jouer des performances ?

Jayne Amara Ross : Ça a tout de suite été les deux en même temps. Le projet FareWell Poetry est essentiellement connu pour les performances, mais il nous arrive aussi de proposer des performances sans images filmées, de poésie sonore et de musique. Mais à la base, l'idée c'était de faire des cinés concerts, et de poser une voix en live qui serve la narration des films. Cela fait quatre ans que le collectif existe.

Frédéric D. Oberland : Eric Perier, avant qu'il n'ait la première Société de curiosités, organisait des événements à la Java. On se connaissait depuis longtemps, et il m'a demandé si j'avais un projet un peu nouveau à lui proposer. J'en ai parlé à Jayne, qui avait déjà le script de As True As Troilus. Il y avait assez peu de temps de préparation, un mois à peine pour tourner le film, composer la bande son, et le jouer en direct. Au départ, Jayne n'était pas supposée être sur scène, sa voix devait être enregistrée. On imaginait de lancer la voix off avec un vieux magnéto Revox. Mais le temps était tellement court que Jayne n'a pas pu avoir toutes les images qu'elle souhaitait. Du coup, la situation a un peu modulé la proposition, et Jayne est venue sur scène pour jouer un film sonore. Et ça s'est très bien passé. A partir de ce moment là, ça a un peu lancé le début du truc.

Jayne Amara Ross : Ensuite, les choses se sont enchainées, on a eu d'autres demandes de programmateurs, et c'est devenu un groupe à géométrie variable. Aujourd’hui le noyau du collectif c’est Frédéric, Stéphane Pigneul, Agathe Max et moi, et des invités ponctuels.

Frédéric D. Oberland : J'avais depuis longtemps cette idée d'un collectif qui me trottait en tête. Et je voulais qu’on puisse, en situation de ciné-concert, jouer un film créé pour cela, et que la qualité artistique soit là. Il y avait cette idée dès le départ que le projet s'organise autour des films, qui soient travaillés comme des films, mais qui puissent avoir une vie live, en tant que film-performance aussi.

ABLC : La perspective de jouer un film en performance a des incidences sur la manière dont on l’écrit ? Comment est-ce que cela s’est passé pour As True As Troilus du point de vue de l’écriture ?

Jayne Amara Ross : Cela faisait un moment que je travaillais sur cette idée. J'avais déjà tourné des images, qui sont d'ailleurs dans le film, mais je ne savais pas comment articuler cette chose là. J'avais un poème que j'avais écrit pour le film, mais j'avais du mal à accoucher du projet. D'avoir cette contrainte de la première programmation et de la seconde par la suite où le film devait être terminé, cela m'a aidé à canaliser l'idée. J'aime la poésie lue, mes envies de performances viennent d'abord de ça. Il y a aussi quelque chose d'assez excitant dans le fait de voir son film devenir quelque chose d'un peu plus vivant, et interagir de façon différente à chaque fois qu'il est joué avec les musiciens et devant un public. J'y ai pris goût et j'ai continué à faire d'autres films pour FareWell Poetry.

ABLC : Quand tu fais tes images, est-ce que tu les anticipes comme faites pour ce dispositif là ou est-ce que tu arrives à en faire abstraction, en considérant qu'il y a une existence en elle-même de l'image, qui peut tenir sans la performance ?

Jayne Amara Ross : Avec l'expérience, je commence à me rendre compte de ce qui marche ou pas en performance. Au début, comme il y avait pas mal de programmations, que ça tournait bien, j'ai fait les films que je voulais faire à ce moment là de ma vie, et ils sont devenus des performances. Après, les films existent en DVD, ils peuvent aussi être projetés en tant que film avec une bande son couchée sur l'image. Mais ce n'est pas du tout le même dispositif, les gens ne sont pas dans la même attente. Quand le film est joué en concert, il y a des choses en lui qu'on perçoit moins, car l'attention se porte ailleurs. C'est une autre expérience. Le fait que je récite sur le film en live, que les musiciens qui performent en soient aussi une présence visuelle, le fait d'avoir des conditions de projections plus ou moins adaptées, une image plus ou moins colorée par l'espace, tout cela joue sur la perception du film. Cela crée vraiment autre chose qu'une projection classique. Maintenant, je vois un peu plus ce que j'ai envie de faire comme films de performance ou comme films plus classiques dans leur dispositif. Mais dans un premier temps, ce n'était pas si clair, j’ai appris en le faisant.

ABLC : Il y a une musicalité dans le montage, qui est un peu imposée par le dispositif.

Frédéric D. Oberland : C'est plutôt à la composition que cela se joue. Il y a les impératifs de la narration, de ce que Jayne imagine quand elle tourne et des raccords qu'elle entrevoit déjà, et ceux de la composition de la musique, qui va en règle générale dans ce sens là. C'est difficile de dire ce qui vient en premier ou en second dans cet ordre de fabrication, car on a déjà un peu tout expérimenté, des images tournées avant que la bande son ne soit composée, des images filmées sur une musique dont les thèmes existaient déjà… Après, il y a toujours le scénario au départ, qui est là d'une manière ou d'une autre et qui donne le cadre. Cela ne veut pas dire que la voix est déjà posée, mais il y a un univers cinématographique qui est présent, avec ses couleurs, ses personnages, une progression.

ABLC : Le récit de As True As Troilus repose sur des éléments visuels très puissants. On s'éloigne d'une narration un peu classique pour aller vers quelque chose qui est beaucoup plus sensitif et intuitif, et qui, à un moment donné, est également pris en charge par la musique.

Frédéric D. Oberland : La musique a aussi un rôle de dramaturgie. Elle induit les moments calmes, ceux où une mélodie est vraiment donnée, d'autres où elle doit être un peu arrachée, comme à la fin de As True As Troilus… C'est la musique qui joue l'émotion entre les personnages. Le moment où la voix s'arrête implique que la musique prenne en charge la totalité de la dramaturgie sonore, mais elle est guidée par le film. Au tout début de As True As Troilus, on a fait un schéma sur un papier, avec les différents mouvements, leur signification, leur direction, avec de vrais points de repères. Contrairement à certains cine-concerts, dans lesquels les musiciens sont un peu libres, dans FareWell Poetry, il y a une écriture très précise et sur scène, ça peut être assez fort quand ça marche et assez triste quand ça ne marche pas. Il y a des points de calages où tout le monde doit être là, être synchrone avec le film. On essaie toujours de faire en sorte que la musique ne mange pas l'image, c'est important qu'on reste dans le cadre de la narration cinématographique, et qu'on ne fasse jamais tendre les images vers un côté purement visuel.

Jayne Amara Ross : Ce que j'aime dans les films de performance, c'est qu'on peut être dans une narration tacite. On peut faire exister de longues plages musicales, avec une symbolique dans l'image qui permette au spectateur soit d'y participer, soit de se laisser porter. J'y prends plaisir parce que c'est le côté le moins intellectuel de cette pratique. Je peux avoir une écriture forte sur ces images là mais je ne suis pas obligée de les imposer au spectateur. Comme pour n'importe quelle performance, il est important de laisser le spectateur participer, ce qui est possible si le film s'ouvre réellement.

ABLC : Comme si le film se laissait habiter par des éléments externes ? Participer, cela veut dire quoi précisément ?

Jayne Amara Ross : Je pense que la narration, quand elle est présente sous forme littéraire, est imposée. J'essaye de prendre les gens par la main et de les guider dans le récit. Mais dans les moments où je me retire et où on est purement dans une sphère visuelle et symbolique, je laisse le spectateur créer sa propre narration. Après, je sais exactement pourquoi j'ai mis chaque image, parce que je fonctionne comme ça, et l'écriture est mon mode d'expression à la base, mais c'est intéressant en performance de pouvoir laisser le spectateur tracer son chemin.

Frédéric D. Oberland : Oui, et puis il y a aussi quelque chose qui relève de l'interprétation. Quand on est sur scène pour interpréter le film, il y peut y avoir beaucoup de versions différentes. C'est toujours la même partition, mais ce que l'on sent de la salle ou du public nous amène à jouer la bande son d'une certaine façon. Cela nous est arrivé de la jouer de manière extrêmement bruitiste, ou au contraire de manière très calme, avec des petites choses. C'est assez jouissif d'arriver sur scène et de ne pas savoir vraiment ce qui va être fait. Quand on est en situation de performance, le film, c'est la moitié de ce que l'on fait. On sent les gens être en situation d'écouter de la musique, et en même temps de focaliser sur des images, et c'est assez chouette. Les regards se tournent vers le film, et les musiciens sont le liant entre les deux. C'est vraiment particulier. La musique est le lieu d'un passage et l'ensemble suscite des émotions assez fortes. C'est ça l'enjeu et le moteur, c'est ça qui nous donne envie de tourner avec ce projet, qui est difficile à faire. C’est une grosse machine qui est lourde financièrement, humainement, qui demande énormément de travail et de sacrifices. On ne peut pas arriver sur scène et se dire qu'on va juste exécuter As True As Troilus ou The Golden House : For Him I Sought The Woods, car si on les joue dans cet état d’esprit là, la performance sera catastrophique. As True As Troilus par exemple est un film qui parle de la tragédie de l'amour. Si on ne s’engage pas personnellement, cela n'a aucun sens de le jouer. Mais l'envers de cette difficulté, c'est que cela permet à des gens de vraiment vivre des choses. Des spectateurs sont venus nous voir pour nous dire que cela faisait écho en eux à des situations qu'ils avaient connues. C'est le film et la musique qui ensemble peuvent produire cet impact. Quand les gens viennent nous voir et nous font part de l'état dans lequel la performance les a mis, on a l'impression d'avoir servi à quelque chose. Il y a peu de projets qui me permettent de recevoir de tels témoignages. Quand un cinéaste projette un film, cela peut aussi arriver, mais celui qui a fait le film n'est plus en jeu, le film existe, il est projeté malgré lui, il n'est pas connecté à son œuvre comme c'est le cas quand tu es en train de la faire, de lui donner vie.

ABLC : En projection classique, tu dois percevoir une différence importante, aussi bien au niveau de la facture du film que de sa réception ?

Jayne Amara Ross : Le fait d'avoir des sous-titres, ce qui n'est pas toujours le cas quand le film est joué en performance, cela peut permettre aux gens de rentrer un peu plus dans la poésie, surtout en France puisque j’écris essentiellement en anglais. Des gens qui ont vu la performance plusieurs fois ont accès à certaines choses, qu'ils n'avaient pas comprises ou reçues avant de voir le film en projection. Après, pour moi, les projections sont souvent assez douloureuses. Je suis vraiment face à mon film, à ses faiblesses, je suis prisonnière du dispositif, alors qu'en performance, j'ai le sentiment d’être là pour soutenir le film, que le groupe et le film forment une sorte de couple qui va fonctionner. Le fait de participer et d'avoir quelque chose à faire rend plus facile de visionner dix ou vingt fois son propre film. Quand on est cinéaste, le côté définitif et statique du montage fini peut être problématique. Au bout d'un moment, on en vient à saturer de son propre film. Avec la performance, il y a une élasticité.

ABLC : Cette élasticité touche au montage, ou est-ce que ce n'est que dans la restitution du film qu'elle joue ? Est-ce que tu te donnes la liberté de moduler le montage bien après la première performance du film ?

Jayne Amara Ross : Cela m'est arrivé de remonter un projet, mais sur des détails. J'ai le luxe de pouvoir montrer un film et le ramener à la maison pour le retoucher. Ce n'est pas vraiment possible si l'on suit les règles habituelles de la fabrication et de la production. Cela dit, avec les nouvelles technologies, il y a sans doute beaucoup de cinéastes qui se donnent cette liberté là. Ils projettent leur film en festivals et peuvent lui donner sa forme définitive après cette première période de projections.

Frédéric D. Oberland : Cette question est valable également pour la bande son. La musique est jouée en direct, et par la suite on a des fenêtres pour rectifier, ce qui arrive moins en montage. En montage, on regarde le film 10, 20, 30 fois, mais on n’a jamais l'expérience de la première projection. Quand la copie est tirée, quand c'est fini, c'est fini. Revenir en salle de mixage ou d'étalonnage serait beaucoup trop coûteux. Alors que là, il y a vraiment la possibilité de se dire qu'on essaie une version qui va ouvrir de nouvelles possibilités. Le revers de la médaille, c'est qu'on peut se perdre dans l’écriture. Par exemple, on a performé très vite The Golden House : For Him I Sought the Woods, on l'a expérimenté plein de fois, et il y avait toujours un truc qui nous dérangeait Stéphane et moi. Quelque part, il aurait peut-être mieux valu aller en studio pour figer la musique et se demander ensuite comment la jouer en live. La question du comment compte énormément. Si on imagine un piano à un moment, tels et tels arrangements, mais que les conditions du live nous imposent de changer d'instrument, alors les contraintes du live deviennent les contraintes de la bande son. C'est quelque chose dont on s'est rendu compte récemment. Cela vaut le coup de réfléchir les choses un peu autrement.

Jayne Amara Ross : Et cela veut dire également que l'existence de ces projets là en tant que films finis ou définitifs n'est pas vraiment possible. J'ai des films qui existent depuis deux ou trois ans et qui n'ont pas encore de bande son enregistrée. La possibilité de les montrer en festival est déjà passée. J'ai commencé à me poser ces questions récemment. Pour moi, comme cinéaste, ce serait bien que ces films là puissent avoir une existence autonome.

Frédéric D. Oberland : C'est pour ça que pour le prochain film, Persephone II, on va procéder différemment. On a enregistré la bande son alors qu'on ne l'a jamais performé en direct. Le film n'est pas encore fini et on commence déjà à figer la musique.

ABLC : Cela veut dire que pour vous, un film peut aussi exister comme pur enregistrement sonore ?

Frédéric D. Oberland : C'est ce qu'on essaie de faire depuis le début. C'est le cas pour toutes les performances qu'on a jouées. La question, c'est de savoir comment on peut faire exister ça comme objet purement sonore. Nécessairement, quand on fait des ciné-concerts, on est amené à performer davantage dans les lieux dédiés à la musique que dans des salles de cinéma. C'est une sphère dans laquelle on fait des disques et on vend des disques.

Jayne Amara Ross : Il faut dire aussi que l'industrie du cinéma expérimental est assez limitée. L'idée d'éditer un dvd d'un film expérimental est dure à mettre en œuvre. J'ai la possibilité de sortir des dvd’s qui accompagnent les vinyles, on fait un objet un peu atypique, et c'est très chouette pour moi parce que dans d'autres circonstances, ce ne serait pas possible.

Frédéric D. Oberland : Effectivement, il y a toujours un dvd avec les films finis, et puis il y a l'album, composé à la fois de performances musicales et de morceaux au sens plus classique. On essaie toujours, et c'est un pari risqué, de faire en sorte que les bandes sons soient suffisamment travaillées pour pouvoir être écoutées sans le film. Cela produit évidemment autre chose, mais ce qu'on espère, c'est que les gens qui achètent le disque soient également conduits vers l'image.

ABLC : Du point de vue de la composition musicale, on n'écrit sans doute pas de la même façon pour un projet comme FareWell Poetry que pour une formation plus habituelle, qui jouerait dans des lieux et selon des modalités identifiées.

Frédéric D. Oberland : Il y a beaucoup de mélodies, d'arrangements ou d'idées d'orchestration dans FareWell Poetry, qui sont parfois plus complexes que dans d'autres projets musicaux, où on travaille peut-être un peu moins.

ABLC : Pour que la musique ait un rôle dramaturgique fort, il faut qu'elle puisse elle-même produire des images.

Frédéric D. Oberland : Ce qu'on espère tous les deux, c'est que quand les gens écoutent la bande son, des images du film leurs reviennent. Dans les morceaux qu'on produit avec Jayne et qui ne sont pas accompagnés d’images, il y a une force cinématique assez présente.

Jayne Amara Ross : Oui, et puis il y a toujours la voix qui raconte l'histoire, on est encore dans une narration, même si elle est purement sonore.

ABLC : Pour revenir à la pratique filmique, il y a une spécificité du support de tournage que vous utilisez. Est-ce que vous travaillez en argentique parce que c'est un médium qui rejoint la dimension performative de votre travail ? Quand on tourne en pellicule, on se situe souvent dans une économie ou on tourne peu et ou on se tient dans une incertitude quand au résultat. Il y a une forme de mise en danger initiale du film.

Jayne Amara Ross : Je n'aurais pas fait de film si je n'avais pas découvert de support argentique accessible, S8 ou 16 mm. Je fais mes propres chimies dans mon labo, je développe moi-même mes images. Mais ce n'est pas le format qui m'a amené vers la performance. Quand j'ai commencé à performer, j'avais déjà réalisés plusieurs films. La performance correspond à un état de mon travail aujourd'hui. J'ai beaucoup tourné en Super 8 car c'est un support qui offre, tout en travaillant en argentique, une certaine légèreté. Sinon, on a tourné récemment un film en Super 16, grâce à un soutien du CNAP. J'ai pu faire développer mes rushes dans un labo. C'est une esthétique qui me plait tout autant. Mais quand je développe moi-même mes images, cela devient vraiment une pratique personnelle et très solitaire, qui me procure beaucoup de plaisir.

Frédéric D. Oberland : Cette mise en danger est quelque chose qu'on essaie de retrouver aussi dans l'enregistrement de la musique. Toutes les bases musicales sont enregistrées live, et on se donne deux ou trois prises maximum pour les poser. On se permet de pouvoir réarranger, mixer, etc., mais il y a vraiment ce geste là de lâcher un truc à un moment donné. Quand on a enregistré la bande son de As True As Troilus, on a fait trois prises, et c'est la même prise du début à la fin. On était assez fier de ça, de ce geste d'être ensemble, dans cette mise en danger. Quand ça marche, ce qui en ressort, c'est vraiment l'essence de ce qu'on recherche. On peut se planter, c'est ça le danger, mais cela rend le truc vraiment excitant. C'est ce qu'on veut partager avec tous les gens qui participent au projet, quelle que soit l'étape où l’on se situe, le tournage, l'enregistrement, le live. Quand on est parti tourner Persephone II en Ecosse, les probabilités pour qu'on n’obtiennent pas ce que l’on souhaitait étaient grandes. Les conditions étaient dures, on a marché cinq heures avec tout le matériel pour tourner pendant quatre jours dans un endroit où il n'y avait ni eau, ni électricité…

Jayne Amara Ross : …pour faire des plans avec une caméra super 8 qui du jour au lendemain peut nous dire au revoir…

Frédéric D. Oberland : On a tourné une séquence de feu où c'était un peu la même chose, c'était quitte ou double. On a fait flamber une grosse maquette qui a été construite sur plusieurs mois par Aneymone Wilhelm. Si la séquence n'avait pas marché, on n’aurait pas pu la refaire. On ne pouvait faire qu'une prise. Mais on prend le risque parce que si ça marche, l'émotion est super vive. C'est pour ça qu'on fait ce genre de projet, c'est pour vivre des victoires comme celle-là, des victoires collectives, autour de quatre, cinq, dix personnes qui donnent de leur énergie, et qui ensemble arrivent à soulever une montagne. Et quand on joue le film sur scène, on se reconnecte avec ces moments là, et ça c'est vraiment bien. Ces expériences humaines sont des choses qu'on trimballe avec nous dans les performances. Parfois, c'est un peu dommage, car il y a toute une partie du travail qui n'est pas visible, celui des décorateurs, des gens qui travaillent sur l’image. Quand on fait des concerts, on essaie de remercier tout le monde car tous ceux qui sont présents au tournage sont aussi importants que les musiciens qui jouent avec nous.

ABLC : Dans As True As Troilus, il y a quelque chose de très chorégraphié dans la mise ne scène.

Jayne Amara Ross : Oui. J'ai travaillé avec des comédiens formidables, Laurent Evuort et Cassandre Manet, qui sont presque des danseurs. C'était intéressant de leur donner la contrainte du masque. Cela les a obligé à tout exprimer à travers le corps. J'aime filmer les corps nus. Le cinéma muet, le fait de ne pas avoir la possibilité du son synchrone, nous amène très vite dans une sorte de danse devant et avec la caméra.

ABLC : Du coup, est-ce qu'il n'y a pas la volonté de faire sortir les interprètes de l'écran et de les mettre là, sur scène ?

Frédéric D. Oberland : C'est une idée qu'on a évoqué il y a très longtemps. Peut-être qu'un jour on aura un projet de performance totale. Mais c'est encore une autre logistique.

Jayne Amara Ross : Oui, et c'est aussi un tout autre travail que le nôtre. J'aime le théâtre, mon envie de performer vient de là. Il y a quelque chose de très électrique dans le théâtre, dans le fait d'être présent sur scène. Mais le collectif est surtout la somme des pratiques de chacun: pour Frédéric, Stéphane et Agathe c’est la musique et pour moi c’est la poésie sonore et le cinéma. C’est aussi simple que ça !


Crédits photos : Valentine Gressel (live) / Jayne Amara Ross (films)
| Auteur : Rodolphe Olcèse
| Lieu(x) & Co : FareWell Poetry

Publié le 25/11/2013