Ecrit à la fois comme un pamphlet, un essai poétique et un ouvrage critique, Fondu au noir, le film à l'heure de sa reproduction numérisée de Guillaume Basquin est un livre d'humeur et de désillusion, qui cherche à exprimer la situation de perte qu'a connue l'exploitation cinématographique lors du passage, sans alternative possible, à la diffusion numérique des films.
Opposant image calculée et image révélée et partant du principe que l'image numérique est une image qui ne peut pas brûler, qui se consomme donc, mais ne se consume pas, Guillaume Basquin retrace l'itinéraire de ses premières expériences de projections numériques pour mettre en évidence, depuis une référence à Walter Benjamin, et avec le soutien sollicité à chaque instant de Jean-Luc Godard, que le changement du dispositif de projection est destructif, selon un paradoxe apparent, des grands chefs d'oeuvres du patrimoine cinématographique mondial soumis à des entreprises restauration.
Nous ne saurions reprocher à Guillaume Basquin une certaine imprécision technique — la confusion notamment, dès les premières pages, entre les normes 2 et 4 K — tant son intuition initiale reste juste. Il existe bien une différence de nature entre une image photochimique, qui est une trace de lumière posée sur une surface qui aura d'abord été noire, et une image numérique, qui se donne comme la résolution d'une série de 0 et de 1. Il n'y a pas de commune mesure non plus entre un ensemble d'images qui se fantasme dans l'oeilleton de la caméra avant toute manipulation, et la captation numérique de formes qui repose sur une technique inventée, peu ou prou, pour la vidéo surveillance.
Guillaume Basquin dit avec vigueur que c'est par le volet de la diffusion que le cinéma a connu la transformation la plus radicale de son histoire, ce qui est vrai en un sens, même si la production a rendu possible ce bouleversement. Cela fait bien des années en effet que la postproduction des films tournés en argentique se fait sur des chaines numériques, et que les copies 35 mm des films sont mâtinés d'une résolution numérique, ne serait-ce que dans leur traitement sonore. Pour autant, le constat doit être refait que la perception des couleurs, des aplats, de la profondeur, des mouvements au cinéma n'est plus la même. Il suffit d'aller régulièrement au cinéma pour réaliser que le noir n'existe plus en projection. Mais il faut, contre l'auteur cette fois-ci, et pour obéir à un impératif d'espérance, croire que cette transformation du cinéma ne signale pas sa fin, et que les cinéastes seront capables — ce que nous avons pu constater plusieurs fois — de dessiner, avec les nouveaux outils qui leurs sont de gré ou de force imposés, des chemins de lumière plus puissants que les calculs aujourd'hui nécessaires pour les rendre manifestes.
Fondu au noir, Editions Paris Expérimental, Paris, 2013 - 20 €