Vêtus d'académiques aux couleurs bien acidulées, amateurs et danseurs professionnels partagent le plateau avec une énergie jubilatoire. Le format est ludique, le plaisir de danse communicatif. Roman photo, une expérience à vivre !
Le concept est d’une brillante simplicité et permet de multiples déclinaisons : Flip Book, pour des danseurs professionnels, Roman Photo pour des étudiants, amateurs ou non-danseurs, ou encore 50 ans de danse pour des anciens interprètes de la Merce Cunningham Dance Company. Son point de départ, l’intérêt pour les partitions ouvertes, renforcé par l’idée cunninghamienne que la danse a lieu entre deux postures, deux positions, deux poses, deux images, en l’occurrence du livre Merce Cunningham, un demi-siècle de danse, de David Vaughan. Boris Charmatz poursuit ses recherches sur la question de l’archive et de l’histoire à laquelle le Musée de la danse, qu’il dirige à Rennes, s’évertue d’apporter de passionnantes réponses.
La présentation un même soir des versions destinées aux danseurs professionnels et amateurs, renforce la dimension de meta-event cunninghamien de ce projet. Elle soulève également les questions de la citation et du fake et rend effectif un paradigme qui s’origine dans leur dépassement. La transmission se décline ainsi à plusieurs niveaux de lecture et la mise en abime est vertigineuse. Chaque création de Roman Photo implique de multiples et régulières séances de travail, assurées en l’occurrence par Raphaelle Delaunay, danseuse professionnelle et interprète de Flip Book.
Les participants y assimilent le protocole, une pièce se met en place, fragile, soumise aux contingences de l’interprétation. Il faut rappeler que la danse de Merce Cunningham requiert une haute technicité et met véritablement à l’épreuve les capacités physiques des interprètes. Il est passionnant de voir comment l’imaginaire prend le pas sur la technique, comment les gestes épurés et abstraits perdent leur tranchant et s’enrichissent dans un même mouvement de la charge du vécu. Les danseurs amateurs font preuve d’une concentration, voire d’une crispation touchante, une grande attention entoure les manipulations et les contacts. Petit à petit, le plaisir de la danse l’emporte, une sorte de fantaisie vernaculaire déborde les cadres cunninghamiens, les images du livre de David Vaughan transposées sur scène, grouillent d’une vie peu académique malgré l’application, voire le talent de certains interprètes. C’est justement ce qui fait la beauté du Roman Photo : il est habité par quelque chose qui se tient en deçà de l’apprentissage, que le travail en studio, loin de niveler, vient subtilement appuyer, aide à s’affirmer. Par contraste, les corps travaillés par et pour la danse des interprètes professionnels exultent d’assurance et de désinvolture. Mais le Flip Book est abstrait, minimaliste, infiniment plus proche de l’esprit du maitre américain, fidèle au concept d’origine au point de nous paraître, juxtaposé au Roman photo, quelque peu désincarné.
Flip Book / Roman photo au Forum de Blanc-Mesnil, le 30 mars 2013.