Fidèle à sa démarche d’exploration, de re-visitation de formes mineures de la danse, François Chaignaud s’associe à l’artiste Marie-Caroline Hominal pour relever un défi doublement périlleux. Ils signent une performance exigeante du point de vue physique et risquée du point de vue conceptuel : 35 minutes de hula hoop. Pari gagné avec brio !
Duchesses a été créé à Berlin, au Sommer Bar du Festival Tanz Im August 2009. Les deux performeurs s’en tiennent à un dispositif minimaliste et épuré, qui dénote avec l’imaginaire que la danse du cerceau véhicule et ses multiples références, des plus enfantines aux plus sulfureuses.
L’éclairage froid introduit de la distance, déréalise les corps nus, donne à la chair des nuances de marbre. On pense à des sculptures de l’époque romaine, un brin plus kitch que les chefs d’œuvres du classicisme grec, dans les galeries du Louvre. Le souffle ne s’entend presque pas, l’atmosphère est empreinte d’une certaine douceur. Cette rotation, augmentée par la lenteur des mouvements, est hypnotique et envoûtante. Une trouble fascination, un sentiment d’irréalité s’installent.
Le cerceau comme contrainte marque à la fois l’enfermement et le rythme : les corps évoluent dans l’espace qu’il délimite et leurs postures en lente évolution intègrent cette circularité sans faille. Le risque guette toujours que le cerceau tombe, accident qui serait impardonnable. Ce rapport au péril, à l’exploit physique, nous maintient le souffle haletant. Les artistes trouvent l’endroit juste, leur présence se nourrit à la fois des enjeux performatifs de cette intervention et d’une certaine danse qui s’esquisse à partir de gestes tout en lenteur, de micromouvements, de vagues déplacements de membres en résonance avec les impulsions régulières des hanches qui maintiennent les cerceaux dans leur révolution.
La nudité des corps, qui, tout en affichant leurs attributs, semblent par moments, pris dans ce rythme immuable, complètement désexualisés, comme des images de la gémellité archétypale, renvoie essentiellement aux peintures de Jheronimus Bosch. Les deux performeurs matérialisent autour d’eux des sphères d’une densité immatérielle, habitées par un rythme propre. Ils ne partagent pas le même espace expérientiel et la faille entre ces deux mondes subjectifs, maintenus en mouvement par des sensibilités et forces différentes, est rendue manifeste, creusée davantage, à chaque fois que les cerceaux de François Chaignaud et Marie-Caroline Hominal, tournés maintenant un vers l’autre, se touchent : collision des rythmes.
Car cette proposition à la radicalité sidérante met en jeu, vise une déclinaison des rythmes. Le cerceau, telle une onde de choc, amplifie le micromouvement, le spasme du bassin qui le fait tourner. Il y va de rythmes intérieurs liés à des contraintes morphologiques qui rendent le roulement plus fluide, du rythme du souffle parfois imperceptible, parfois lourd et bruyant, entrecoupé de gémissements dans des coups d’accélérations longs et épuisants, où l’on sent que l’effort et la fatigue commencent à raidir les muscles. Il y va aussi d’un rythme quasi-mécanique, qui garde sous contrôle une transe toujours pressentie, qui s’apparente au délire mécanique des machines détraquées, des boîtes musicales dont les figurines kitch tournent de plus en plus vite, au bord de la désintégration.
Pour la sortie de scène, le retour au calme est accompagné par une baisse de la lumière jusqu’à l’obscurité. Nous aurions aimé entendre le bruit libérateur des cerceaux qui tombent, comme autant de sceaux.