La pratique de Jacques Perconte est ouverte à la forme du paysage, et développe une dramatique qui se joue toujours dans des tensions chromatiques. La question qui inquiète Jacques Perconte est la suivante : comment dépasser cette dimension technique, somme toute assez banale, pour ressaisir la machine dans un travail personnel et singulier, où vient précisément s'abolir et disparaitre la technique en tant que telle. A cet égard, il est significatif que lorsqu'il réalise un film, Jacques Perconte commence toujours par le déplier et le dérouler, avant de n'y travailler la compression qui viendra transformer ce travail de montage. Dans la chronologie de fabrication, la technique vient donc après. Ce qui est décisif, c'est d'abord la rencontre avec un territoire, où le processus filmique va trouver sa nécessité. L'enjeu est de poursuivre l'aventure en explorant le paysage dans l'image. Dans cette démarche, la conscience de l'outil, et de la manière dont les caméras trahissent le naturel, est particulièrement forte. L'image apporte une nouvelle histoire par rapport au paysage, et la compression va elle aussi induire une narration inédite par rapport à l'image.
S'ils ne sont pas ouvertement de revendication écologistes, les films de Jacques Perconte ont tous un rapport très fort à la nature, et sont tous signés par une inquiétude liées à la puissance de la nature toujours exposée à la menace de l'industrialisation. L'image est dans la rencontre entre un corps — le corps de la caméra, et un environnement qui vit en elle, qui lui donne prise, qui vibre en elle. C'est par cette vibration — un vent soudain qui fait trembler un pied de caméra — dans cette situation d'une caméra engagée dans le monde, que la couleur va pouvoir se libérer.
Dans un film comme M(Madeira), il y va d'une pure sensorialité. La haute technicité de la pratique est ici au service d'une immédiateté sensible, qui est comparable, dans l'émotion qu'elle propose, à la musique. La technologie disparait, au profit du pur instant de la sensation. L'image n'est là que pour délivrer des formes et des couleurs, il n'y a rien à comprendre finalement, tout est très simple, très évident, le film se donne à éprouver et à ressentir. C'est en cela qu'il se donne avec une dimension d'authentique transcendance. Le film signale cette possibilité proprement humaine d'habiter intérieurement un paysage. En cela, cette démarche n'est pas étrangère à la mystique. Elle veut montrer en effet comment un paysage peut résonner avec notre intériorité. La volonté est de retrouver avec des images ce que nous avons d'emblée avec la musique : un rapport fort, immédiat aux motifs, mais aussi des expériences concrètes, où les rapports temporels et les outils d'analyse cessent d'être opérants.
Ce qui permet cette dimension d'immédiateté, c'est précisément que l'image est fortement matricielle, et peut théoriquement tout contenir. L'image, c'est la juxtaposition de millions de petites boites qui ont chacune un potentiel immense, et qui si on les active simultanément, peuvent faire vibrer l'image en direction de l'infini. L'image vidéo, mise en mouvement dans ses moindres détails, est un lieu pour une quantité inépuisable d'autres images. Il est évident, dans cet ordre, que le processus filmique peut être le signe d'un rapport entre soi et l'immensité alentour, et exiger une forme d'humilité pour que la distance entre ces deux pôles puisse se laisser franchir. Car le fait est que les motifs, les sujets filmés, ne sont pas en soi saisissants. Ce sont, le plus souvent, des buissons, des herbes folles, etc. Mais dans cette banalité, la caméra peut récupérer une quantité de détails que notre regard ne perçoit pas, et qui vont précisément permettre d'animer l'image, c'est-à-dire de lui donner vie.
L'image est riche d'une infinité de détails possibles, jusque dans son impuissance à enregistrer le réel. Cette richesse d'une image impuissante, c'est précisément ce qu'explore Chuva. Le film a été tourné à Madère, de la terrasse d'un hôtel. La pluie arrivant, Jacques Perconte a filmé le mer étendue devant lui. La caméra, qui réalise des images RVB, ne pouvait pas interpréter les niveaux de gris dont se composait ce paysage pluvieux. La pluie fait ici bouger la structure de l'image. C'est de cette incapacité technique que procèdent les effets de moirage, et la possibilité, proprement interne à l'image, de se laisser envahir par une vague bleu. Comme pour les autres films de Jacques Perconte, c'est d'abord un dysfonctionnement qui crée le lien et le liant avec le sujet.
Jacques Perconte a été conduit vers la question du film génératif par l'exposition de son travail dans des galeries. De telles pièces se déploient elles-mêmes et d'elles-mêmes, dans un mouvement à l'infini. Elles répondent concrètement à la problématique posée par l'espace muséal, qui demande que nous puissions entrer dans une oeuvre filmique alors même qu'elle a commencé avant notre arrivée. Dans ces pièces, c'est l'affichage du fichier, et non le fichier en tant que tel, qui lui ne change jamais, qui est sujet à un dysfonctionnement. L'image est cassée, elle n'est plus bornée, et n'a donc plus ni début ni fin. C'est une image qui est toujours hors d'elle-même ou en avant d'elle-même. En cela, c'est une image qui ek-siste, elle a son centre en dehors d'elle-même, et ne peut que se modifier constamment pour le rejoindre.
De même intensités plastiques peuvent être produites avec des programmes qui loupent les fichiers vidéos, et produisent, dans cette répétition d'une même et unique boucle, des effets d'amplification qui transforment nécessairement l'image, celle-ci étant toujours la somme de tout ce qui a été joué avant elle. L'image devient ainsi le lieu d'une lutte entre les couleurs telles qu'elles sont présentes dans l'image et les couleurs suscitées par l'effet de boucle. La forme entre en collision avec la résonance qu'elle produit, dans un processus d'amplification incessante. Dans de tels travaux, il s'agit de proposer des vidéos sans structure, des films débarrassés de toute dimension narrative et qui se donnent comme de pures expériences chromatiques et plastiques.
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Compte rendu du séminaire Cinéma / Parole du 5 juin 2017.