La dramaturgie d'ensemble est finement amenée, implacable, subreptice progression de l'informe pluricellulaire à la Pythie impassible dont la voix s'articule dans les cavités intérieures, filtre dans les muscles et sourd à travers les pores, à même la peau nue, alors que le visage et les lèvres restent souverainement immobiles. Juste avant que les feux ne s'éteignent, Yasmine Hugonnet pose des mots sur cette fascinante invitation à danser ensemble dans laquelle Le Récital des postures n'a eu de cesse de nous envelopper. L'acte chorégraphique est parfaitement accompli : "we are dancing a delicious unison !"
Notre attention, notre écoute globale, notre concentration auraient été chauffées à blanc tout au long de cette pièce qui alimente une vertigineuse amplitude du mouvement imaginaire. Yasmine Hugonnet signe une création qui semble s'adresser au regard pour en déjouer les attentes avec espièglerie. L'opacité d'un corps qui affirme silencieusement, obstinément sa puissance secrète, mobilise tous les sens du spectateur. Rarement le rapport entre la forme, l'image et la sensation aura été si fertilement travaillé. Le principe de la désignation tourne à plein régime et pourtant la clé se dérobe indéfiniment, dans des séries ouvertes. Il s'agit avant tout de ralentir, pour « écarteler le temps » et installer durablement cette vibration de basse amplitude qui opère à la frontière poreuse entre le mouvement et l'immobilité, entre la fluidité des métamorphoses et la densité de la présence, entre les postures et l'imaginaire qu'elles véhiculent. Le corps se recompose inlassablement. Toujours, le motif dominant, dont on croyait reconnaitre le régime de production, est sapé de l'intérieur. La danse des signifiants flottants entraine une progression par paliers : l'agrégat organique où couve une vie aveugle, rampante, le nu abstrait entre plis inattendus et angles toniques - toujours une tension est à l'œuvre et peut être cette manipulation sournoise des cheveux s'en fait le signe, tout en se maintenant jalousement en deçà de ce qui est directement lisible. La figure antinomique, traversée par des rythmes étranges, contradictoires, qui frôle le burlesque et ravive, facétieuse, toute une histoire souterraine de la danse - femme à moustache, figure qui résiste aux catégories, définitions, normes qui formatent le regard et imposent des grilles de lecture, dévoile la puissance d'incarnation et d’appropriation de l'interprète et chorégraphe. "Je me considère comme un révélateur", dira Yasmine Hugonnet, éprise avant tout de la potentialité du geste. Sa respiration se fait bruyante en marges de la surface photosensible, remplit la salle de son souffle brulant et créateur qui active à la fois le corps et l'imaginaire et sublime la posture en tant que réservoir d'impensables. Le jeu avec le public se fait plus direct, l'adresse se charge d'humour, avant que cette voix ventriloque ne réaffirme le trouble tenace d'un paradoxe qui sous-tend ce Récital : tout est offert à la vue et pourtant une opacité est magnifiée, qui résiste au regard, attise les autres sens, laisse une empreinte durable, cultive secrètement la survivance des mémoires.
Le Récital des postures de Yasmine Hugonnet a été présenté au Théâtre de la cité internationale du 12 au 17 janvier 2017