Les éditions Yellow nous invitent à une plongée intégrale dans l'œuvre brève, mais dense, d'Artavazd Péléchian. Judicieusement sous titré "Une symphonie du monde", l'ouvrage, coordonné par Claire Déniel et Marguerite Vappereau, s'efforce de proposer une vision exhaustive du cinéaste arménien, et de mettre en évidence la spécificité de sa démarche, où l'archive tient une place importante, et qui aboutira au principe du montage à distance. Cette question du montage à distance s'immisce d'aileurs jusque dans la mise en page de l'ouvrage. L'ensemble des textes collectés est en effet accompagné par un même visage d'enfant emprunté au film Nous, laquelle image est très largement évoquée au fil des pages, reproduite au début et à la fin du livre.
Comme le montre son sommaire, ce recueil veut proposer une lecture de l'œuvre de Péléchian qui soit à la fois intensive et extensive. Après une brève incursion dans des textes contemporains des films du cinéaste, parmi lesquels on retiendra en particulier un texte de Dominique Païni et une conversation avec Jean-Luc Godard, les différentes études sont d'abord rassemblées selon des axes thématiques - corps, montage, temps et histoire - pour donner lieu ensuite à une analyse de l'œuvre film par film. C'est donc à la fois la résonance des œuvres entre elles et les sonorités propres à chaque film que Claire Déniel et Marguerite Vappereau veulent faire apparaitre, ce qui participe pleinement de la compréhension du geste propre à Péléchian. Car le principe du montage à distance, selon lequel il a composé ses films, à la manière de symphonies musicales, agit aussi au niveau de l'œuvre entière, qui joue en tant que telle sa propre musique et vibre de son prorpe rythme interne. L'organicité du cinéma joue ici à tous les niveaux.
Il est également remarquable que la production non réalisée de Péléchian, qui a décidé de mettre un terme à son oeuvre en 1993, soit évoquée au même titre que ses films achevés. Marguerite Vappereau consacre en effet un texte stimulant au scénario d'un film qui ne verra pas le jour, Homo Sapiens, pour montrer le potentiel des images qui le traversent et veulent dialoguer avec les grands maitres de la peinture classique. Il n'est guère besoin de souligner la parfaite cohérence qu'il y a à inscrire dans le parcours filmique d'un cinéaste des images qui, dans son cheminement tout à fait singulier, sont restées à l'état de possible, quand cet auteur nous dit explicitement, dans l'élaboration d'un cinéma cosmologique et attentif au rythme des saisons, que toute Fin véritable se donne finalement comme une ouverture à la Vie.
Artavazd Péléchian, Une symphonie du monde, sous la direction de Claire Déniel et Marguerite Vappereau, Yellow Now, 2016, 25 €