Il y a urgence à agir, à mettre en commun nos désirs, nos fantasmes, nos hantises, nos trébuchements et nos élans. La nouvelle création de Christophe Haleb invoque l'extase en tant qu'horizon d'une nécessaire sortie de soi, d'un dépassement des frontières, d'une expérimentation tantôt furieuse, tantôt enjouée, toujours fébrile, d'une multitude de modes d'être ensemble, d'une pluralité de corps hybrides, recomposés, qui reconfigurent et redistribuent sans cesse les énergies et les capacités d'agir. Le plateau de l'Echangeur à Bagnolet devient la chambre de résonance d'un tumulte qui gronde et cherche ses formes, se coagule ça et là — dans des occupations temporaires de l'espace public, à Madrid, New York, ou plus récemment dans la Nuit débout parisienne — nomade, se tient jalousement hors des radars des organisations politiques traditionnelles.
L'image déborde les cadres, les motifs circulent d'un écran à l'autre, créent des échos, les perspectives se démultiplient, les énergies fluctuent entre latence des lueurs et pulsation explosive. La caméra s'approche jusqu'à saisir le grain de la peau ou s'éloigne pour embrasser de vastes espaces imaginaires, se tient sur la brèche dans l'exploration des capacités de sentir, de regarder, de s'arrêter, de bouger, augmente la perception de ce qui est en jeu sur le plateau.
Un peuple de vases en cristal couve des lucioles froides qui difractent leur lumière timide dans les entailles tout en transparences. Le choix de l'accessoire décliné dans maintes formes et factures peut sembler incongru dans un premier temps. Manufacturés, symboles de la décoration des intérieurs bourgeois, ces objets sont avant tout des prismes qui réfractent la vision. La scène accueille des villes imaginaires, des cartographies impossibles de tours en cristal. Les corps s'enlacent dans ces architectures fragiles.
L'esthétique est volontairement chargée. Les danseurs revisitent une iconographie qui s'étend de l'antiquité classique à l'imagerie religieuse et au baroque, dans une longue traversée conduisant à un certain constructivisme arraché au statuaire du réalisme soviétique, avant d'assumer un débridement qui n'a rien à envier aux jeunes performers et artistes visuels de la West Coast. La plongée dans le mouvement et l'errance des images incarnées sont prodigieuses. Christophe Haleb se tient au plus près de cet état trouble, indéterminé et pourtant impérieux du désir d'être ensemble sans trop savoir quel visage donner à la communauté. Des mots se détachent comme autant de blocs de vécu : amour, lieu, pulsion, réalité, force, rêve. L'énergie du groupe tourne sur elle même, se conjugue, se focalise, accouche de nouvelles idoles, en chair et cristal, corps entrelacés, hybrides, où l'organique s'imbrique au minéral. Une déesse de la transpolénisation ressuscite les machines désirantes de Deleuze, la biopolitique transpire à même la peau. Un rituel tout en équilibres potentiellement coupants, angles, opacités viscérales et transparences, hypostasie l'avènement des noces impossibles. Tout reste à inventer, peut-on affirmer, pour paraphraser Jacques Rancière dans cet entretien pour les Cahiers du cinéma qu'évoque le chorégraphe. Le trop plein fantasmatique se montre terriblement fertile.
CommunExtase de Christophe Haleb a été joué au Théâtre l'Echangeur, du 17 au 21 novembre 2016.