J'ai mis neuf ans en ligne de Frédéric Danos : Un film sur le fil

 Frédéric Danos commence par réaliser des films de fiction, mais se sent poussé vers le documentaire par un désir d'interroger le réel et le rapport à l'autre. C'est là le point de départ du récit documentaire et performatif (mais ne pourrait-on pas aussi bien parler tout simplement de film ?) J'ai mis neuf ans à ne pas terminer, qui se scindera en de nombreux faisceaux et embranchements. L'inachèvement dont Danos fait état n'est pas ici une impuissance, mais plutôt la reconnaissance du réel comme non-fini, comme processus ouvert à la discussion, à la potentialité. C'est dans ce sens une évolution logique du film, d'abord présenté sous une forme que l'on pourrait dire scénique (le cinéaste, présent dans la salle, devant l'écran, commente les neuf séquences du film qu'il va projeter une à une), que d'être proposé depuis juin sous forme de visionnage sur internet guidé par téléphone. Il suffit pour cela de se rendre sur le site 9ans.com et d'y réserver une séance. Le cinéaste appellera son futur spectateur à l'heure dite et lui narrera son histoire aux multiples commencements qui forment une sorte de palimpseste vital.

  Le film se trouve maintenant sur le fil, l'adresse au spectateur n'étant plus ici globale mais individuelle, à la limite entre le conversationnel et le narratif, tout comme le film en ses fragments se place sur le fil du documentaire et de la fiction. En liant par la parole les différents départs (car le film recommence et se reformule à chaque séquence), aussi hétérogènes qu'ils puissent sembler (portait allégorique de la femme aimée, réflexions sur la représentation du politique, expérimentation des premiers téléphones munis d'une caméra, utilisable en cours d'appel, nous montrant « ce que voit l'oreille », autofictions où s'inversent les rôles...), ils trouvent une sorte d'unité de lieu et d'élan. Si le récit de cet inachèvement aboutit à une forme narrative, à une sorte de fiction où les divers éléments sont à leur place - sous réserve de modifications éventuelles, mais rares, dans l'ordre des séquences - le rapport ouvert au réel qui caractérise le documentaire se rejoue dans le dispositif de restitution, dans le contact avec le spectateur-auditeur. Maintenant plus que jamais le film, celui porté par les mots du moins, peut être interrompu à tout moment par l'interlocuteur.

  Cependant cette fragilité ou précarité du réel n'exclut pas une forme de lutte : c'est bien un motif qui traverse tout le film, à travers les mouvements sociaux et la création de formes spécifiques pour filmer collectivement le collectif, qui se mêle finalement à la recherche autofictionnelle à travers la question de l'identité – comme nous le montre la dernière séquence du film associant des occupations de locaux de Pôle Emploi (par ailleurs présenté ironiquement au générique comme « co-producteur du film ») visant à contester les contrôles de faux-papiers mis en place par cette structure et une rencontre, fictionnée ou non, du père et du fils à l'issue d'un voyage en train. Entre ces images et ces mouvements qui pourraient s'ignorer, c'est finalement un dialogue qui s'instaure où le temps n'est plus mesuré qu'en termes de devenir.


| Auteur : Boris Monneau

Publié le 19/07/2016