CAMPING 2016

Retour sur les workshops de Xavier Le Roy et Sophie Perez.

L’énergie exubérante, orageuse est au beau fixe. Véritables bêtes de scène, les campeurs de Sophie Perez trépignent déjà derrière le rideau à moitié levé qui marque les coulisses de fortune du Point Perché au Palais de Tokyo. La déferlante qui s’en suit est phénoménale, elle ne représente qu’une infime partie de la richesse des expériences traversées pendant cette semaine de travail.

La veille, sur le plateau de la Grande salle du Centre Pompidou, Xavier Le Roy prenait au pied de la lettre cette idée de restitution, neutralisait sa charge spectaculaire, proposant un format à même de déjouer volontairement ce type d’attente. Ce journal d’atelier, avançant péniblement au gré d’allers-retours entre l’anglais (langue de travail pendant les deux semaines de workshop) et le français (langue exigée mordicus, au prix de l’ennui et de la redondance, par certains membres du public), fait signe avant tout vers l’épaisseur de journées de travail visant à accorder danseurs et musiciens, à l’abri des regards indiscrets, dans le calme du studio, autour de la partition du compositeur Bernhard Lang. C’est une manière pour Xavier Le Roy d’appuyer la vocation de CAMPING en tant qu’espace expérimental, espace sensible de ressources, temps privilégié de la réflexion et de la pratique, du foisonnement, de l’articulation en acte de l’artistique, du social et du politique. Pour sa deuxième édition, la manifestation initiée par le CND, confirme ses promesses et devient le rendez-vous incontournable des professionnels et amateurs de danse, à la fin de la saison. Fait remarquable, l’IRCAM et le Centre Pompidou ont donné leur concours pour la mise en place de cet atelier particulier qui met en jeu la relation entre deux expertises et redistribue les configurations entre danseurs et musiciens. Le terme de situation revient souvent dans le propos du chorégraphe. La première réaction serait de penser à Tino Sehgal et à la manière dont ce dernier définit les propositions performatives qui lui ont valu le Lyon d’or à la Biennale de Venise en 2013. Ce serait néanmoins faire l’impasse sur E.X.T.E.N.S.I.O.N.S. #1, projet mené dès 1999 par Xavier Le Roy, réunissant une vingtaine d’artistes et/ou théoriciens dans des gymnases, avec l’ambition de dissoudre les séparations entre l’objet et son contexte, entre l’action, la recherche, la répétition, entre la production et la présentation publique. Certaines dynamiques expérimentées à l’orée des années 2000 nourrissent en profondeur l’atelier CAMPING 2016 et informent cette restitution In Vivo Danse.

Nous avons eu le privilège d’assister à une journée de travail, vers la fin de la deuxième semaine de workshop. La lecture de la partition a été déjà accomplie, les binômes à même d’interpréter dans une parfaite économie de tout accessoire la composition de Bernhard Lang sont stabilisés. Quinze musiciens et quinze danseurs se chauffent la voix, s’approprient le corps et l’espace du plateau, tout comme ils le feront le soir de la restitution en attendant que le public s’installe. Une série d’exercices réveillent une écoute diffuse, musclent la conviction, favorisent l’engagement et la prise d’initiative, consolident le sentiment d’être ensemble, installent de manière flexible, la place mouvante de chacun à l’intérieur du groupe, oscillant entre agitation thermodynamique et équilibre relatif. Des cercles d’attention s’élargissent. La transmission horizontale, par propagation des pratiques gestuelles et sonores (dont l’immobilité opaque et le silence font à juste titre partie) développées au sein de chaque binôme, contribue à la constitution d’une mémoire collective et multiplie les points d’ancrage de l’interprétation à venir. Le silence est demandé pour une première tentative concertée. Différents types de relations se mettent en branle à l’intérieur des binômes – symétrie, complémentarité, circulations en miroir ou distendues – chaque action affirme de par sa rythmicité une musicalité bien particulière. L’attention circule aussi bien entre les sens qu’entre les divers points de l’espace. La partition de Bernhard Lang se donne tout autant à voir qu’à entendre, dans une exécution à la fois ludique et toujours plus finement et organiquement réglée.

Retour fracassant au Palais de Tokyo. Tout un bestiaire, soigneusement préparé pendant la semaine de travail avec Sophie Perez, menace joyeusement de nous engloutir. Un Elvis dégoulinant et un bébé terriblement sexué, les gémeaux bleu électrique, une Marianne un peu détraquée, une sorcière nue sur son balais, une Anne Teresa de Keersmaeker en pleine Fase, le singe, la tignasse, le cow-boy à poil sous sa ceinture en cuir, un petit être informe, rampant, et tant d’autres figures impossibles, reviennent sans cesse à la charge, coupant court à toute tentative de télescopage narratif. Le rythme est effréné, tient sur le fil de la saturation, haletante, à couper le souffle. Des apparitions au ralenti, hallucinées y introduisent de véritables coupures, avant d’être furieusement chassées par des comparses. L’engagement dans le grotesque et la démesure est tout simplement jubilatoire et quand les masques et autres accessoires tombent, cet enthousiasme ébouriffant qui irrigue CAMPING reste en partage.

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CAMPING 2016 - CND, Palais de Tokyo, Centre Pompidou



Publié le 05/07/2016