Nous partons d'un apparent paradoxe : dans les œuvres du présent corpus, le détail s'affiche comme l'élément central du récit ou de la représentation, il est le sujet même du film. En un sens, ce n'est pas tel ou tel détail que nous aborderons, mais plutôt le détail en tant que tel, en tant que mode opératoire. Cependant, nous nous sommes fixés un cadre : dans les films sélectionnés, cette singulière approche de l'image théorisée par Daniel Arrasse passera toujours par la peinture.
Dans un premier temps nous traiterons du détail iconique1 (que nous appellerons aussi bien « pictural », puisqu'il provient de la peinture), du détail qui représente quelque chose, en analysant des films qui font de tableaux, réels ou fictifs, leur fondement narratif ou figuratif, et qui se développent et se construisent à partir des détails contenus dans ces images. Dans un second temps, nous adapterons la notion de détail pictural2 au cinéma, qu'Arrasse utilise pour désigner le détail matériel, non figuratif. Nous le nommerons « plastique » pour éviter les confusions avec la catégorie précédente, et parce qu'il acquiert ainsi un caractère plus général.
Nous voyons donc que le détail est générateur, et qu'il s'inscrit dans une génération d'images. Le détail se décline sous toutes les formes iconiques, traverse en outre tous les genres du cinéma (documentaire, fiction, animation, expérimental), en les portant à la limite de leurs possibilités. L'autre sens de la génération, le passage d'une image de médium en médium et de support en support, implique le corps de l'image, sa matérialité. C'est bien cette « matière imageante »3 dévoilée par le détail plastique qui constituera notre point de mire : elle rejoindra finalement le concept de chair/visibilité tel que l'a pensé Merleau-Ponty.
1) Le détail iconique
Commençons par le détail tel qu'il se donne à voir dans la peinture, et voyons comment il en vient à informer un film. En 1997, Claudio Pazienza réalise Tableau avec chute, sous-titré Voyage dans un tableau de Pieter Brueghel, « Paysage avec la chute d'Icare », peint vers 1555 quelque part en Belgique. Pour reprendre la terminologie arassienne, il s'agit là d'un tableau contenant un détail iconique, un détail de type figuratif : Icare se noyant. Cet élément n'est certainement pas perceptible à première vue, il occupe une position marginale dans la composition, et se trouve au plus bas de l'échelle de grandeur par rapport aux autres personnages. Le film documentera (sans négliger la mise en scène, qui ira jusqu'à la reconstitution du mythe derrière le tableau) l'enquête menée par le cinéaste dans le but d'éclaircir le contexte, le sens et la perception de l’œuvre, auprès d'une grande variété d'interlocuteurs, parcourant toute l'échelle sociale, du chômeur ou du retraité au premier ministre, en passant par le philosophe ou l'historien de l'art.
Ce journal intime au style hétéroclite illustre bien l'implication subjective qu'appelle le détail. Le projet filmique naît de façon obsessionnelle, par la découverte du détail : «Depuis quelques mois ce tableau te revient à l'esprit de façon insistante et inexplicable, il te raconte quelque chose sans que tu parviennes à bien définir quoi. Intensément, confusément, cette image te parle et fait surgir des questions de toutes parts ». Le problème de consacrer un film à un tableau n'échappe pas à l'auteur, ni à ses proches : « Pourquoi tu veux faire un film sur une image qui ne bouge pas ? », à quoi il sera répondu (l'auteur se parle toujours à la deuxième personne) : « Une image qui ne bouge pas reçoit mieux tes pensées. Une image qui ne bouge pas te regarde autrement qu'une image en mouvement. Ça te regarde, c'est tout ».
Georges Didi-Huberman donne l'explication suivante de ce paradoxe auquel est soumis le regard, ce dédoublement faisant que ce que nous voyons nous regarde, que ce qui est devant se trouve aussi dedans : « C'est que la vision se heurte toujours à l'inéluctable volume des corps humains»4. L'exemple qu'il analyse pour rendre compte de cet « être regardé » est assez proche de celui que présente le film : il s'agit dans les deux cas d'une disparition (« chaque chose à voir, si étale, si neutre soit-elle d'apparence, devient inéluctable lorsqu'une perte la supporte […] et de là, nous regarde, nous concerne, nous hante5 ») : là celle de la mère de Stephen dans Ulysse, ici celle d'Icare, qui représente tout ce que l'on oublie ou néglige de regarder6. Le tableau va donc hanter le film aussi bien que son auteur, il va faire corps avec eux.
Incorporé au film, il n'en est pas simplement l'objet, montré et analysé. Il est plutôt une force prégnante, active dans la représentation : nous verrons le monde à travers lui7. L'on retrouve à l’œuvre deux propriétés du détail dégagées par Arasse, celle d'être un « programme d'action »8, puisque le trouble qu'engendre le détail va prendre la forme d'un film voué à l'éclaircir, et de façon plus discrète celle d'être un « suspens du regard »9, qui se manifeste dans le procédé d'arrêt sur image, dans une première séquence10, puis dans celle qui nous montre la mêlée des enseignants et des forces de l'ordre lors d'une manifestation contre des licenciements en masse. D'autres figures de style mettent en évidence la spécificité cinématographique du détail, en exposant les limites optiques du médium : celles du cadre (décadrages), ou de la focale (jeux sur le flou entre avant et arrière-plan). L'image cinématographique est en elle-même un détail, un fragment prélevé à la réalité, un point de vue sur un espace-temps qui lui est incommensurable.
Faire un film sur le détail en adoptant une démarche documentaire, c'est donc interroger le rapport problématique du cinéma au réel. Le détail devient le signe de l'inaperçu. Dans la sphère sociale, qui est celle qui intéresse plus particulièrement l'auteur, l'inaperçu est incarné par des corps sans visages, « ceux qui à force d'être mis sur la touche finissent par en perdre la face » : les chômeurs, les jeunes de banlieue, les immigrés. Par ailleurs, la perception du monde à la fois indifférenciée et lacunaire que le journal télévisé nous donne est parodiée par les séquences qui ponctuent le film, au début (« C'est la mi-juin»), au milieu (« C'est la mi-juillet ») et à la fin (« C'est la mi-octobre ») dans lesquelles l'auteur fait le bilan de l'actualité et du quotidien. Les images employées sont des plus hétérogènes (actualités télévisées, images d'archives en noir et blanc, photographies personnelles ou issues de films, détails d'autres tableaux de Brueghel l'Ancien11, images du quotidien de l'auteur), pourtant celui qui les regarde fait le lien entre elles : « Tu es là, et ici, et là encore. Que tu le veuilles ou pas, tu es dans tout ça ».
Le tableau fait aussi corps avec celui qui le regarde, ici, d'abord, l'auteur. Dans la plupart de ses nombreuses apparitions à l'écran, Pazienza porte une veste rouge, qui est la couleur du chemisier du laboureur, la première chose qui ait attiré son attention lorsqu'il s'est trouvé face au tableau. L'auteur jouera donc de la confusion entre le corps et l'image. Prenons deux scènes situées dans les dix premières minutes, les deux premiers entretiens. D'abord, Pazineza parle de son projet de film à l'occasion d'une visite médicale. Le médecin lui montre une radiographie de sa cage thoracique, en décrit les différents éléments, et décrète qu'il s'agit d'une « radio normale », après quoi Pazienza lui montre le tableau de Brueghel, dénote ses différents personnages, et conclut que « tout est normal aussi ». Notons incidemment que cette approche radiographique du tableau sera reprise et approfondie par un des films que nous traiterons plus avant.
Le second entretien est introduit par la phrase suivante: « Il était onze heures, quand on t'a déshabillé». L’interlocutrice, après avoir écarté les pans de la veste de Pazienza, filmé de trois-quarts dos de sorte que nous ne voyons pas ce qu'elle voit, s'exclame : « Ouh là ! C'est joli. C'est pas du tout le style que je croyais. Très beau, très beau... Et c'est Brueghel ça ? ». Nous apercevrons de loin le t-shirt sur lequel est imprimé l'image à la scène suivante, et il ne sera montré de près que quelques minutes plus tard. Cette façon de mener l'enquête, de montrer l'image (qu'il n'emploiera pas systématiquement : lorsqu'il s'entretiendra avec le premier ministre ou avec des historiens, philosophes, ou psychanalystes, il se contentera d'un support de reproduction plus traditionnel) est un moyen de prendre le contre-pied de ce qu'il condamne : « la distance entre celui qui regarde et ce qui est regardé ». Ici c'est la perception propre au détail qui est mise en évidence, la vision oblige à un rapprochement, quasiment à un corps à corps.
Ce qui apparaît aussi dans le film de Pazienza, c'est que pour comprendre une image il faut la mettre en relation avec d'autres images : « Le leurre, c'est que derrière cette image, il y en a toujours d'autres ». Le commentaire s'applique à une image montrant les parents de Pazienza paisiblement allongés dans un champ, qui sera suivie d'une séquence montrant la dispute qui a précédé cette sortie bucolique. La présence des parents de l'auteur, auxquels le film est dédié, n'est pas indifférente. Il s'agit d'inscrire les images dans un processus génératif, d'établir un parallèle entre la génération biologique qui forme l’enchaînement des corps et la génération iconique qui forme celui des images, entre le monde intersubjectif et le monde interpictural.
Le tableau de Brueghel est lui-même décliné sous de nombreuses formes (t-shirt, livre, carte postale...), qui sont autant de points de vues sur l'image. Sera également évoquée l'existence d'une autre version, montrant l'envol réussi de Dédale et un soleil qui n'est plus à l'horizon mais au zénith. Un second tableau sera convoqué pour rendre compte de l'incompréhension que rencontre l’œuvre de Brueghel12, et qu'elle symbolise : La trahison des images de Magritte. On la retrouvera non seulement sous forme picturale, mais aussi photographique (Pazienza tire une photo d'une pipe) ou audiovisuelle, dans des extraits d'une émission télévisuelle consacrée à Magritte.
Pour comprendre l'image, il faut donc la mettre en relation. Voyons à présent un film qui part non plus du détail d'une peinture, mais qui se construit en établissant des liens entre les détails d'une série de tableaux. C'est bien ainsi que procède L'hypothèse du tableau volé (1978) de Raoul Ruiz.
Dans son ensemble, l’œuvre13 de Ruiz s'inscrit en faux contre l'évidence narrative exigée par la théorie du conflit central14, modèle dominant le cinéma de fiction. En accord avec la nature de l'image cinématographique, nécessairement liée à de l'accidentel (« le cinéma, si abondant en signes non nécessaires, n'aurait-il pas de surcroît la capacité de les multiplier ? »15), le recours délibéré au détail est une façon d'échapper à cette approche linéaire et homogène, il devient un élément de distraction et de déviation, de dislocation16, d'hybridation, qui fomente un récit parallèle :
Imaginons maintenant un spectateur incapable de suivre le fil de l'histoire d'un film. Il ne pourrait s'attacher qu'aux formes involontaires qui s'y sont glissées furtivement, en un mot aux seules erreurs du film. Ce spectateur, sorte de délinquant visuel, suivrait alors un film composé de détails obsessionnels. Permettez que je me cite en exemple. Pendant des années, j'ai vu des films gréco-latins (péplums, films sur les premiers chrétiens dévorés par les lions, d'empereurs amoureux, etc.). Mon unique intérêt était de découvrir des avions et des hélicoptères en arrière fond, de surprendre le DC6 éternel traversant le ciel lors de l'ultime course de Ben Hur, de la bataille navale de Cléopâtre ou des banquets de Quo Vadis. C'était là mon fétichisme singulier. Pour moi, ces innombrables histories gréco-latines faisaient toutes partie de l'unique histoire du voyage d'un DC6 en train de voler discrètement en passant d'un film à l'autre.17
Cette manière de voir caractérise bien le cinéma de Ruiz, particulièrement à partir des Trois couronnes du matelot (1983), qui instaure, dans les termes de l'auteur, une véritable « rupture »18. Le film que nous allons aborder, au contraire, est plutôt dirigé par un regard discipliné, nullement délinquant, plutôt docte même, puisqu'il s'agit de celui d'un collectionneur, qui nous servira de guide et d'interprète. Notre regard relayé par l'érudit traversera une série de tableaux vivants reproduisant les œuvres d'un peintre fictif (Frédéric Tonnerre), hétérogènes par les sujets traités (du bain de Diane à des scènes de mélodrame bourgeois, en passant par des images de Templiers), à la recherche des indices qui les relient, qui en constituent la continuité, l'unité linéaire.
L'hybridation est cependant bien à l’œuvre : elle ne réside pas, comme dans la citation précédente, dans l'anachronisme (quoique le temps soit bien renié par la suspension propre aux tableaux vivants – il le sera d'autant plus lorsque nous aurons la clé des tableaux), mais dans la transposition de la peinture au cinéma, dans l'adoption d'une figuration immobile dans un art de l'image en mouvement.
Nous parlions d'un regard discipliné, mais il s'agit aussi d'un regard piégé. Le collectionneur est bien pris au piège, puisqu'il apparaît à l'écran, puisqu'il est quasiment omniprésent : celui qui commente les images en fait partie, joue son rôle dans le même espace qu'elles. Son autorité sur la représentation est d'ailleurs mise en doute à plusieurs reprises : il arrive que les personnages bougent lorsque le collectionneur détourne le regard au cours de l'explication, et les acteurs quittent leur pose après la fin de chaque analyse. A un moment, le collectionneur s'endort, et un narrateur poursuit pendant quelques secondes son discours à mi-voix. Est-ce encore celui qui depuis le début du film dialogue avec lui? Cette voix-off ressemble davantage à celle du collectionneur, mais n'est pas tout à fait reconnaissable dans son chuchotement.
Le piège, auquel il sera fait référence lors de la résolution de l'énigme, passera par les détails, qui à la fois conduisent et abolissent le récit. Après les cinq premières minutes d'exposition, nous expliquant le contexte trouble dans lequel s'inscrit la série des six images (sept, en comptant le tableau volé), le mystérieux scandale que provoqua leur exposition, c'est tout comme chez Pazienza l'aiguillon du détail pictural qui mettra en branle le récit-enquête : “Lorsque nous examinons chaque tableau en particulier, nous ne manquons pas d'être impressionnés par un certain nombre de détails curieux”19. Détails conducteurs donc, puisque le passage d'un tableau à l'autre se fait par leur intermédiaire, puisqu'il est ordonné à leur découverte progressive, le collectionneur examinant les différents composants jusqu'à déterminer le plus décisif et souvent le plus contradictoire (un éclairage suggérant l'existence de deux soleils, la présence d'un emblème sarrasin dans une commanderie).
Abolissement puisque la linéarité est rompue par la mise en abyme du détail, assumée là encore par le corps : « Le piège tendu par le peintre Tonnerre commence à produire son effet. Les gestes, les mêmes gestes répétés de tableau en tableau surgissent, isolément, pour mieux effacer les tableaux eux-mêmes et ce qu'ils représentent », constate le collectionneur à la fin du parcours. Ces gestes latents dans les tableaux peints, dont la trajectoire est indiquée par la disposition circulaire des images qu'il faut lire dans le sens des aiguilles d'une montre, sont voués à être achevés de façon cérémonielle par les tableaux vivants : chaque personnage accomplit alors lui-même un mouvement circulaire répercuté d'image en image. Cette circularité est quant à elle incarnée par la figure du dernier tableau, représentant l'objet du culte, « le Baphomet, démon androgyne, principe de la non-définition, défi au temps », que l'on voit suspendu dans les airs, tournant sur lui-même sous une « sphère ardente ».
Passons à présent du tableau vivant à la vie du tableau, de l'étendue à la profondeur, de la mise en scène à la mise en abyme20. Den Offentlige Røst (La Voix publique, 1988), film d'animation réalisé par Lefj Marcussen, reprend la métaphore radiographique de Tableau avec chute, et en fait son modèle figuratif. L'animation est le terrain d'appropriation idéal de la peinture par le cinéma, car elle emploie des outils analogues à celle-ci. La spatialisation du tableau va ici se faire de l'intérieur, puisque le tableau va se confondre entièrement avec l'espace du plan.
La première image est un plan titre, qui reproduit le tableau éponyme de Paul Delvaux (1948). Au plan suivant, une loupe nous montre successivement l'intérieur de trois peintures : une œuvre de Sam Francis, une de Balcomb Greene, et L'énigme du désir (1929) de Salvador Dali. Cette armature cachée est conçue selon le modèle perspectiviste, qui s'applique ici même à l'œuvre abstraite de Sam Francis. Nous revenons ensuite au premier tableau, mais la loupe ne discerne plus rien : au lieu de mettre à nu la structure de l'image, elle bute sur la nudité d'une surface vierge. Au plan suivant, la vision schématique parvient malgré tout à s'imposer, quoique le tableau réintègre graduellement son aspect d'origine, non sans que nous apercevions, par trois inserts de plus en plus fugaces, qu'il y a une autre image dans l'image, des yeux que l'on attribuerait à un reptile, mais que l'on rencontrera plus loin dans des figures hybrides : une sorte de chevalier barbu qui avec la distance deviendra un aigle ou un mouton se transformant peu à peu en bouc.
Alors commence la deuxième partie du film : un zoom nous rapproche du petit tramway au centre de La Voix publique, et nous pénétrons dans l'obscurité de la porte du fond. D'architecture en architecture, de seuil en seuil, nous atteignons la ligne noire de l'horizon, qui envahit à terme tout l'écran. Alors le mouvement s'inverse : mais le parcours est entièrement différent. Aux plans architecturaux se substituent des tableaux illustres (La Joconde, Le Jardin des délices) ou obscurs (Psykofotografisk Fænomen: Sabotage de Wilhelm Freddie (1944)), sans compter ceux qui ont probablement été inventés par l'auteur. Nouveau vertige : d'une rationalité géométrique, nous en venons à un délire iconographique, à une hypertrophie du détail. Le tableau apparaît comme un organisme vivant et proliférant. Ce zoom arrière reprend le principe d’emboîtement, de mise abyme de la série architecturale, chaque image s'avérant contenue, en tant qu'infime partie, dans une image plus grande (où nous passons du chevalier-aigle à la Joconde puis au Jardin des délices, etc.). Après cette exploration de l'envers (la première image de la série iconographique représente la toile de Delvaux telle qu'elle serait vue si l'on passait de l'autre côté : ses personnages apparaissent alors comme des figures planes, simples effigies découpées et peintes – seul le nu au premier plan conserve sa plénitude) qui est aussi le dedans, nous revenons finalement à l'image première, matrice qui les recèle toutes.
1 ARASSE Daniel, Le détail, Paris : Flammarion, 1996, p. 270.
2 Ibid., p. 274.
3 Ibid., p. 277.
4DIDI-HUBERMAN Georges, Ce que nous voyons, ce qui nous regarde, Paris : Éditions de Minuit, 1992, p. 12.
5Ibid., p. 13.
6« Tu n'as retenu que des récits de disparitions annoncées, et subies, et étalées au grand jour comme Brueghel les avait peintes il y a quatre siècles », dira le narrateur après la séquence d'interview des chômeurs.
7« Imperceptiblement, ce tableau te questionne sur ta manière de regarder, non seulement le tableau, mais surtout ce qui t'entoure tous les jours », « Après l'avoir vu, on voit ce qu'on voit tous les jours, et on voit le monde avec d'autres yeux ».
8Op. cit., p. 225.
9Op. cit., p. 244.
10Ou sous-séquence, puisqu'il s'agit d'une série de trois variations visuelles autour de l'énoncé qui condense l'action du tableau, et son ordre de lecture, la litanie qui obsède le cinéaste après la découverte du détail : « Un homme laboure son champ. Un berger regarde le ciel. Un bateau navigue lentement vers un port. La mer est calme. Un homme se noie. », accompagnée d'abord par des images isolant chaque élément nommé dans le tableau, ensuite par des images de foule datant des années 60, finalement par un seul plan montrant une ville vue de haut. Notons qu'il y a un échange entre la première et la dernière série, signifiant bien que le tableau nous parle du réel, puisque au moment où sont prononcées les trois dernières phrases, l'on passe des détails du tableau à la prise de vue réelle (un immigré interrogé par l'auteur), et que les images de la mer peinte succèdent à la ville.
11La Chute des anges rebelles (1562), Les deux singes (1562), Le dénombrement de Bethléém (1566).
12« Ce dessin, le dessin de quelqu'un qui se noie, ne les a pas ému outre mesure. Ceci n'est donc probablement pas un homme qui se noie ».
13C'est aussi vrai de sa production théorique, qui s'inscrit selon lui dans « un genre proche de ce qu'on appelait dans l'Espagne du XVIe siècle, les Miscelaneas (Miscellanées), des discours théorico-narratifs où l'on s'exerce à faire des cabrioles, des changements de cap inattendus, des interpolations extravagantes, bref ce qu'on pourrait appeler “ l'art de passer du coq à l'âne” », RUIZ Raoul, Poétique du cinéma, Paris : Dis Voir, 1995, pp. 7-8.
14« Une histoire s'installe quand quelqu'un veut quelque chose et qu'un autre ne veut pas qu'il l'obtienne. Dès lors, à travers différentes digressions, tous les éléments de l'histoire s'ordonnent autour de ce conflit central », Ibid., p. 11.
15Ibid, p. 33
16C'est bien le terme qu'emploie Arasse pour décrire l'effet du détail sur le tableau : Op cit., p. 225.
Ruiz, pousse cette dislocation à l'extrême (quoique l'on puisse aller plus loin encore en prenant le photogramme comme unité filmique) : « le film n'est pas composé d'un nombre donné de plans mais plutôt décomposé par eux : lorsque nous voyons un film de 500 plans, nous voyons également 500 films », Poétique du cinéma 2, Paris : Dis Voir, 2006, p.10.
17Poétique du cinéma, p. 58.
18« Entretien avec Raoul Ruiz » dans Décadrage, n°15, automne 2009, pp. 83-84.
19Le mot « détail » aura déjà été prononcé à deux reprises par le narrateur qui commente les toiles de Tonnerre : « Aucun détail de mélodrame ne vient usurper un rôle facile », « Pour certains [tableaux] c'est la préoccupation pour le détail qui frappe ».
20Les deux films précédents reposent aussi sur la mise en abyme, mais elle était de nature inter-picturale, elle se développait entre le cinéma et la peinture : ici la mise en abyme est intra-picturale, parce que le cinéma d'animation fait de la peinture.