La première chose que le film nous adresse, et qui va guider notre regard sur les sentiers qui mènent au Pic du Canigou, place notre attention sous le signe d'une apparente contradiction. Comment une lumière peut-elle être fossile sans perdre sa qualité propre, qui est de se diffuser, d'irradier autour de soi ? Peut-elle être retenue dans la terre, parmi les pierres, sans disparaitre purement et simplement ? C'est pourtant bien une forme de rétention lumineuse, la possibilité d'une source déclenchée après-coup, au coeur des rochers, que Lise Fischer cherche à nous donner à voir, soulignant du même coup que l'oxymore qui donne ton titre au film — Lumières fossiles — n'en est manifestement pas un. Car il y a des lumières qui retiennent leur éclat pour des temps à venir, ce qui est peut-être la définition même du cinéma, cette inépuisable machine à fabriquer des archives.
Un plan assez court de petites figures orangées dont la teneur et la qualité sont difficiles à cerner ouvre donc à une vue sur un paysage de montagne, plongé dans un brouillard qui dissimule progressivement les lignes de crête et les chemins qui y conduisent. Une femme, Jacqueline, qui a 85 ans, marche à travers les arbres, s'avance vers ce brouillard épais où va se jouer, selon un autre paradoxe apparent, la possibilité d'une apparition. L'image d'une petite flaque d'eau de pluie nous plonge parmi des formes instables et minuscules, lumineuses, de petits organismes vivants qui dessinent sur l'écran des trajectoires hasardeuses. Ce qui peut libérer cette lueur littéralement vivante, inscrite dans la pierre, c'est cette dimension liquide, dont le brouillard était comme l'annonce et le signe.
Ces lueurs qui tremblent sur un fond noir, pour fragiles qu'elles puissent paraitre, vont permettre, par leur résonance avec les paysages de montagne, un dédoublement du foyer depuis lequel ces lumières fossiles peuvent nous atteindre. Sur la peau ridée de la dame âgée, des formes apparaissent subrepticement. On devine des arbres, des feuillages, des silhouettes qui marchent, dans la même montagne, mais en un autre temps. Ce sont des archives familiales, en 8 ou 9.5 mm, captant une journée de promenade que Jacqueline a faite avec sa famille quand elle était enfant. Projetées à même la peau, ces images disent la résurgence d'un passé dont notre corps garde la mémoire, et par extension, les pierres parmi lesquelles il progresse et où la projection se poursuit. Une manière simple et belle de mettre en évidence que nos pas déposent quelque chose de ce que nous sommes sur les chemins que nous empruntons, lesquels se voient confier la garde de ce que nous aurons été. Cet éclat qui s'allume dans la nuit tombante semble jaillir de ces petits organismes vivants, vieux de plusieurs millénaires, qu'un montage parallèle donne à voir de manière intermittente, pour placer dans le présent du film le cinéma lui-même, reconduit à sa dimension la plus élémentaire d'une source lumineuse qui dessine des formes mobile.
Que le film soit tourné en super16 mm prend alors un sens particulier, et décisif. Il n'y a pas de visibilité sans un contact préalable, il faut cette proximité pour que se réveille dans le paysage une lumière qui s'y tient éteinte mais encore vive, et qui renait dans le mince espace qui se découvre, peau contre peau, quand la pellicule épouse la surface de la terre et de la chair, l'un tenant lieu de l'autre, réversiblement.