Déambulations performatives, installations, projections vidéo, performances, une pièce de théâtre, un one-man-show-opera-rock, des discussions qui finissent en chanson, le dernier jour de l’exposition Alfred Jarry Archipellago vire au Performance Day, pose les prémisses d’un nouveau festival à La Ferme du Buisson, placé sous le signe du débordement : les temporalités se chevauchent et se font écho, les circulations se multiplient, les différents formats et médiums se contaminent, dialoguent et s’enrichissent mutuellement. Ainsi se joue, dans une polyphonie jubilatoire, le dernier acte d’un projet curatorial transfrontalier ayant regroupé autour de la figure tutélaire du fondateur de la pataphysique les centres d’art contemporain La Ferme du Buisson, Le Quartier à Quimper, le Musée Marino Marini à Florence et le festival Playground à Louvain.
Veste en cuir bleu électrique, très années 80, parfois un bonnet sur la tête, parapluie bicolore protégeant son ampli portatif des intempéries tenaces qui ont marquée la journée sans pour autant décourager les spectateurs, sourire espiègle et humour absurde, toujours un brin décalé, Dominique Gilliot est la maitresse de cérémonies de Performance Day. Sa voix résonne dans la cour pavée de La Ferme : du Hall du théâtre à la Médiathèque, du Centre d’art à l’Abreuvoir, de la Halle au Grenier, et davantage encore de Noisiel à Avignon (évoqué sur un air de chanson). Alors que le temps file à une vitesse étonnante entre les différentes propositions, à l’heure indécise où le jour décline, entre chien et loup, la performeuse nous offre un avant-gout d’une expérience fantasmée : passer la nuit dans le centre d’art. La prochaine fois peut être ! Pour cette première édition, les plus courageux des spectateurs (et ils le furent en nombre) sont tout de même restés jusqu’à minuit.
La musicalité des voix toujours sur le point de dérailler de l’installation performative de Hugues Decointet, Dramavox, model for a théâtre of voices II (2015) entre en résonance avec la prose de Jarry, lue à gorge déployée par des bibliothécaires du Val Maubuée. Elle acquiert des accents liturgiques ou haletants dans le montage de textes proposé par les artistes Katarina Ševi? et Tehnica Schweiz. Aux envolées lyriques d’une soprano dirigée par Cally Spooner qui puise dans la vulgarité et l’outrance de commentaires postés sur YouTube, en s’agitant autour de la sculpture monumentale et néanmoins informe de Mike Kelley, Spread Eagle (2000), répondent les ricanements silencieux, mais omniprésents sur leurs supports papier du singe Bosse-de-Nage, personnage clé du roman Gestes et opinions du Docteur Faustroll de Jarry que Julien Bismuth a placé dans les recoins de l’exposition. Un peu partout et à n’importe quel moment, les appels des chanteurs d’oiseaux Friends of birds (2014 – 2015) de Petrit Halilaj ouvrent vers des horizons fictionnels, à la fois ancestraux et trans-humains, insoupçonnés. Et alors que Les Chiens de Navarre testent la terre battue qui couvre pour l’occasion le grand plateau du théâtre de la Ferme du Buisson dans un opus désormais culte, Les danseurs ont apprécié la qualité du parquet (2012), Benjamin Séror nous entraine dans les aventures rocambolesques de The Marsyas Hour (2015 – 2016) en s’adonnant à des exercices apparentés à la ventriloquie. De Robert Bresson aux orgies dionysiaques, en passant par Blue Monday de New Order, les références s’entretissent dans un récit agrémenté de riffes électro kitch et lancinants, où les mécanismes de la vision rétro-cérébrale sont invoqués pour matérialiser les fantasmes les plus délurés.
Tout est rangé dans des boites en carton soigneusement classifiées. Sarah Vanhée s’emploie méthodiquement, patiemment à déballer les déchets, réels et virtuels accumulés pendant toute une année et une sidérante marée inonde lentement, au fil des 2h30 que dure la pièce, le plateau vide de la Halle de la Ferme du Buisson. Une temporalité toute autre s’y installe, sédimentation tenace d’histoires futiles et oubliées. Oblivion (2015) raconte une fiction qui reflète en miroir le monde contemporain. Mais au delà de la rage consumériste et de l’inconscience criminelle qui caractérise nos modes de vie, Sarah Vanhée tisse une histoire horizontale, polyphonique qui interroge le statut des restes et des traces – une bouteille d’eau minérale vide, des souvenirs ou des affects – interroge notre rapport aux objets dans leurs devenirs fictionnels ou performatifs, dimension essentielle dans une projet curatorial qui explore les zones intermédiaires là où les codes se brouillent entre les arts visuels et ceux de la scène. Vivement la prochaine édition de Performance Day !
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Vous pouvez également visionner la vidéo que nous consacrons à cet événement.