Le livre de Jacques Aumont ouvre son cheminement par une remarque de Niels Bohr, selon laquelle il peut volontiers croire toutes les péripéties rocambolesques qu'un western vient mettre en oeuvre, mais difficilement qu'un opérateur ait été là systématiquement pour en être le témoin et les enregistrer. Le montage serait un enchaînement d'épisodes éventuels, pour certains vraisemblables, qui produirait potentiellement de l'incroyable. Cet incroyable, c'est cette série de ruptures qui organisent le passage d'une image à une autre, lesquelles se donnent dans la continuité d'un flux visuel et sans hiatus apparent pour notre regard, sauf recherche exprès qui irait dans le sens de la discontinuité.
Cette contradiction étant posée, Jacques Aumont propose, dans Montage, "la seule invention du cinéma", un parcours qui fait saillir les grandes possibilités du montage que le cinéma a engagé dans son histoire, d'Eisenstein à Godard, dont les décisions artistiques sont en bonne place dans ce court ouvrage qui lui emprunte une partie de son titre. L'effort est de penser à la fois ce qu'aura été le montage au cinéma pour celles et ceux qui découvrirent le cinéma au moment même de son apparition, et ce qu'il peut en rester aujourd'hui, où l'expérience de l'image se joue dans des paradigmes nouveaux, et devient ce par quoi le montage, et avec lui le cinéma tout entier, dont le sens à toujours été de la mettre en oeuvre, fait l'expérience de sa propre limite.
Dans cet examen des statuts du montage, et partant, des possibilités qu'il ouvre en les affirmant, plusieurs développements particulièrement stimulants mériteraient d'être relevés : l'appréhension du réel (André Bazin), la puissance de différentiation de l'intervalle (Dziga Vertov), l'exploration de la conscience (Walter Benjamin) et les modalités d'accueil du sens (Jean-Luc Godard). Autant de dimensions à travers lesquelles un film se découvre en continuant d'explorer le montage, la seule chose que le cinéma ait, selon le mot de Godard donc, inventé.
Pour finir ce bref aperçu, laissons le dernier mot à Jacques Aumont, qui dit bien, dans le mouvement même où il le problématise en évoquant la question du montage interdit chez Bazin, tout l'enjeu du cinéma et de ses puissances : "Quel que soit le film, quel que soit l'univers imaginaire qu'il instaure et quelle que soit son attitude envers lui, il s'agira toujours en fin de compte d'un compte rendu et d'un commentaire de notre expérience du monde, et les moments les plus précieux en seront, logiquement, ceux où nous avons le sentiment d'être mis devant l'énigme du réel, telle quelle, sans changement, sans trucage, sans explication" (p.55).
Le montage, "la seule invention du cinéma", Jacques Aumon, Vrin, 2015 - 9,80 €