Jonas Chéreau & Madeleine Fournier / Sous-titre

Pas besoin de sous-titres pour suivre, se faire gentiment bousculer par, s’abandonner enfin au charme des voix multiples qu’attisent Jonas Chéreau et Madeleine Fournier. La salle basse de la Ménagerie de Verre en devient la caisse de résonance, étrange machine minimaliste à même d’amplifier les moindres chuintements et échos du désir, désir d’un mouvement à la fois possible et nécessaire. Le récit de cette quête est tenu, cocasse, semé d’embuches. Il multiplie volontiers les pistes, nous fait perdre pied, nous conduit vers des limbes surréalistes où nous pouvons enfin saisir, pleinement, l’urgence de cette création qui se déploie en tant que véritable geste spéculatif.

Pour paraphraser Didier Debaise et Isabelle Stengers, mettre la pensée, et dans ce cas particulier, une pensée espiègle, charnelle, sous le signe d’un engagement par et pour un possible qu’il s’agit d’activer, de rendre perceptible dans le présent (1). L’engagement de Jonas Chéreau et Madeleine Fournier est radical : tout arrêter, faire le vide, fermer les yeux et installer les conditions propices à une écoute particulière. Le temps présent, la durée, les attentes – des interprètes, tout comme celles des spectateurs – sont mis en suspension, à l’image de ce mobile de Boris Achour, sorte de figure tutélaire complètement décentrée, incongrue, de cette création. Facétieuse dans sa grande simplicité, cette sculpture qui n’a de cesse de jouer des tours au regard, s’apparente à un projet plus vaste entamé en 2006 et nourri par une référence directe, dans son titre, au Conatus, le concept spinoziste du désir comme force motrice, ce mouvement par quoi toute chose s’efforce de persévérer dans son être et d’augmenter sa puissance d’agir.

Les corps des deux danseurs et chorégraphes, assis en tailleur, deviennent à la fois émetteurs et récepteurs, intensificateurs d’un état de disponibilité qu’ils cherchent à transmettre, à partager. Chaque souffle l’approfondit et bientôt des voix se lèvent, comme sous hypnose, qui portent cette invocation du mouvement. Le désir se réveille, monte, déborde soudainement dans une déferlante de sons bruts, roques, traversés en filigrane par d’étonnantes harmonies qu’enclenche le musicien Èlg, qui ne manifestait il y a quelques instants qu’une présence hiératique et muette au fond du plateau. Questions, intuitions, intentions, besoins autonomes et singuliers des membres dissociés, coordinations surprenantes, mécanismes et transports intérieurs mobilisent les danseurs dans des jeux spéculatifs qui traquent le désir dans les moindres recoins du corps et de l’imaginaire. Ouvrir la possibilité du mouvement, dans des dynamiques fluctuantes qui cherchent leurs sources pour mieux se déployer. Le potentiel poétique de la chair engendre des tropes insolites, le vide de la salle de la Ménagerie de verre se remplit de clameurs d’un opéra de batraciens où une demi-douzaine de pianos accordés en mode mineur se donnent rendez-vous avec un porte-avion. Les associations les plus folles reconfigurent la perception de l’espace. Glissements perpétuels et sauts capricieux nourrissent un rythme ludique où tout devient possible.

(1) Gestes spéculatifs, Didier Debaise et Isabelle Stengers, Les presses du réel, Paris, 2015.

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Sous-titre de Jonas Chéreau & Madeleine Fournier, présenté à la Ménagerie de verre, dans le cadre du festival Les Inaccoutumés, du 8 au 10 décembre 2015.

La pièce sera reprise le 12 mars 2016 dans le cadre du festival Artdanthé.

 



Publié le 14/01/2016