Ecrits sur l'art de Philippe Lacoue-Labarthe

Pour la plupart écrits de circonstance, pour accompagner expositions ou monographies, les textes rassemblés dans le recueil Ecrits sur l’art de Philippe Lacoue-Labarthe ont une facture singulière. C’est qu’ils répondent dans leur forme même à la signature, toujours unique, des gestes dont ils cherchent à comprendre le sens. A cet égard, que cette collection de textes sur les arts visuels, peinture et photographie essentiellement, s’ouvre à la rencontre d’Urs Lüthi et interroge sa pratique de l’autoportrait pour mettre en évidence la dimension allographique qu’elle ouvre n’est pas anodin. Tout texte critique dessine les contours d’un espace de rencontre, et le critique ou philosophe doit d’une manière ou d’une autre s’exposer à son tour dans ce qu'il écrit. L’œuvre d'art, écrit Philippe Lacoue-Labarthe, est toujours le signe d’une présence. « Présenter ne veut pas forcément dire : produire ce qui n’existe pas (une telle interprétation est encore contaminée par la notion empirique de l’absence), mais plus strictement : faire que ce qui est présent soit véritablement présent, rendre présent le présent qui, sans quoi, n’aurait pas statut de présence. L’art n’a pas pour fonction de reproduire le réel ou de produire de l’irréel, il est destiné à attester l’être-présent de ce qui est présent » (p.153). Comment restituer ce caractère de présence, sinon en y étant soi-même présent ?

La rencontre d’une œuvre est toujours un événement, et un texte, le plus bref, le plus conjoncturel soit-il, n’a de sens qu’à chercher à le dire et à comprendre comment une image, pour reprendre une phrase de Paul Klee citée par Philippe Lacoue-Labarthe, ne reproduit pas le visible, mais le rend visible. L’ensemble des textes assemblés dans ce livre dessinent ainsi une communauté de passeurs qui nous ouvrent un accès à la réalité. Urs Lüthi donc, mais aussi François Martin, avec qui Philippe Lacoue-Labarthe a travaillé à une exposition pour une galerie de Rouen, Bertholin, Malgorzata Paszko, Salvatore Puglia et plusieurs autres ouvrent des espaces proprement à donner une sorte de vertige. S’agissant des figures dans la peinture d’Aki Kuroda, nous pouvons lire : « faisant un vide dans la toile, elles donnent à percevoir, par un ultime paradoxe, l’espace lui-même ».

Comme les œuvres vers lesquelles ils se tournent, les textes de Philippe Lacoue-Labarthe sont des lieux où la pensée respire, ce qui tient à leur forme sans doute, qui varie selon les thèmes et les objets. Ce que les œuvres engagent vraiment - notre expérience du monde et de l’existence par-delà « le désastre du sujet » - doit pouvoir se laisser dire dans une présentation circonstanciée d’une exposition ou dans la préface d’un livre de photographies. D’autres textes se donnent plus immédiatement dans le style de la réflexion, et mobilisent volontiers les pensées de Hegel et de Heidegger. Plusieurs textes enfin, écrits à la première personne, relèvent du journal, telle cette recension personnelle d’une Biennale de Venise, en 1980, où Philippe Lacoue-Labarthe dit son incompréhension d’une installation de Joseph Beuys au titre pourtant éloquent de L’espace capital. Philippe Lacoue-Labarthe, qui écrit souvent à la première personne, ce qui n’est pas fréquent pour un philosophe, ne s’excepte pas de ce qu’il écrit, quitte à produire des dialogues avec lui-même. Faut-il rappeler que c’est par le dialogue que la pensée est entrée en philosophie ? Souligner jusque dans la forme d’un texte qu’une œuvre nous sollicite personnellement, c’est affirmer une nouvelle fois qu’elle fait événement, qu'elle ouvre le monde et nous ouvre à lui, qu’elle peut enfin entrainer et encourager la pensée vers des questions et des vertiges qu’elle ne saurait affronter seule.

Ecrits sur l'art, Philippe Lacoue-Labarthe, Mamco, 2014 - 22 €


| Auteur : Rodolphe Olcèse

Publié le 13/12/2015