L'ouvrage de Danièle Méaux propose, à partir de plusieurs travaux de photographes contemporains, dont certains sont issus de commandes publiques, de méditer, à travers le geste photographique et la question paysagère, la manière que nous avons d'habiter les différents espaces qui nous entoure, ce qui est révélateur tout à la fois du regard que nous pouvons porter sur eux et de nos capacités à les transformer. Sept cheminements de pensée sont ainsi tracés, qui mettent l'accent tantôt sur des modalités de mise en oeuvre de l'image photographique — ainsi les développements sur les spécifiés de la photographie dite "à la chambre" ou le chapitre sur les protocoles —, tantôt sur des caractéristiques propres aux espaces contemporains, les diverses itinérances auxquelles ils ouvrent et les relations au paysage qu'ils permettent. La circulation sur un territoire à pied ou via les réseaux routiers n'invite pas de la même manière notre regard à se poser sur les étendues qui se déploient devant lui. Danièle Méaux analyse les spécificités et implications de chacun de ces modes, pour produire une réflexion globale sur la question de l'aménagement du territoire, qui suppose à la fois une compréhension de l'existant et une visée programmatique de transformation, qui est inclue dans l'idée même d'aménagement et dans laquelle la photographie a un rôle crucial à jouer.
En effet, comme le rappelle Danièle Méaux, la photographie est une pratique qui se développe en immersion, à même le monde et parmi les êtres qui le distribuent. Elle permet de prendre acte du fait que le geste photographique engage également son auteur dans une recherche, et que ces deux dimensions, l'artistique et le pragmatique, ne s'annulent pas l'une l'autre mais peuvent au contraire se conforter réciproquement. Car les techniques de prise de vue indiquent de manière particulièrement saillante comment l'espace est coextensif à notre existence et déploie autour d'elle autant de lieux où elle peut se projeter, sortir d'elle-même et de chez elle, ce qui est assurément son sens intime et ultime. La photographie peut ainsi être décrite comme un organe au moyen de quoi une relation entre le sujet et l'espace va pouvoir s'opérer : "Le dispositif technique de la photographie incline précisément à ressentir, avec acuité, cette solidarité essentielle. L'appareil se présente comme le prolongement du corps du praticien — ce qui le relie au monde" (p.163) dans lequel il peut induire une posiiton exploratoire.
Danièle Méaux cherche à dégager cet enseignement des photographies elles-mêmes, qui, comme tout témoignage artistique, recèlent souvent une richesse qui excède loin ce que leurs auteurs auront voulu y mettre. Pour le mettre en évidence, elle mobilise de nombreux philosophes et essayistes qu'elle place à la rencontre de photographes importants, comme Dominique Auerbacher, Thierry Girard ou John Davies, pour n'en citer que quelques uns. Leurs images, non moins que des textes de Gaston Bachelard, Maurice Merleau-Ponty ou Michel de Certeau peuvent mettre en lumière ce qu'il en est de notre présence au monde et des voies qui s'ouvrent avec et devant nous. Ces chemins et mouvements d'errance, signalés tout au long de ces Géo-photographies, il appartient à chacun de les éprouver par et pour lui-même, et de faire ainsi progresser, à son échelle et à sa mesure, un territoire qui promet, eut-égard aux possibilités de vivre ensemble qu'il doit pouvoir garantir, d'être toujours en chantier.
Géo-Photographies, Danièle Méaux, Filigranes Editions, 2015- 20 €