Vive le cinématographe ! de Rudolf di Stefano propose un cheminement singulier à travers le cinéma, moins comme objet que comme pratique, qui se tient devant nous, et qui, selon qu'elle s'actualise dans un sens ou dans un autre, voit les possibilités de progresser vers ce qu'elle a en propre s'ouvrir ou se fermer. Dans ce mouvement, de protestation et d'espérance mêlées, Rudolf di Stefano pose trois jalons, considérables pour l'histoire du cinéma, à partir desquels sa pensée, qui s'extériorise dans des phrases brèves, souvent jetées, presque comme des interjections, se découvre à elle-même : Robert Bresson, Jean-Luc Godard ensuite, Jean-Marie Straub et Danièle Huilet enfin. Trois cinéastes qui ont cherché des formes que le cinéma seul pourrait produire.
Enquête sur le cinéma composée à la manière d'un film, avec ses séquences, ses plans et son découpage, Vive le cinématographe ! rappelle, dans sa forme, mais aussi dans plusieurs des propos qu'il agence, que lorsque nous faisons des films, parlons ou écrivons, nous ne sommes pas seuls, que notre gorge s'ouvre toujours depuis des oeuvres qui nous préexistent et auxquelles, d'une certaine manière, nous devons répondre : "chaque film prend son point de départ dans un texte…… dans une musique déjà existante……" (p.140), écrit Rudolf di Stefano, avant de souligner que tout film fait face à une oeuvre dont il peut et doit s'emparer pour produire une autre forme, et que c'est en cela qu'il est concrètement dans l'ordre qui est le sien, cinématographique. Sur cette carte qui relie trois territoires, il n'est donc guère étonnant que le mouvement du livre rencontre une foule d'écrivains, de philosophes et de musiciens qui permettent à leur tour d'approcher le cinéma tel qu'il se propose chez Robert Bresson, Jean-Luc Godard ou Jean-Marie Straub & Danièle Huillet. C'est tout un ensemble souterrain de signatures variées qui se trame ici, et dans les films qui comptent, par quoi un cinéaste peut chercher et trouver sa singularité, pour l'offrir en partage.
Un mot encore, sur la forme du livre, qui se donne, d'une certaine manière comme un acte de lecture. Entre les citations, plus ou moins longues, de textes ou d'entretiens signés par les trois guides de ce cette enquête, l'écriture de Rudolf di Stefano arpente le territoire du cinéma — envisageant ses différents aspects, la réalisation, la production ou la diffusion — par de multiples phrases, ordonnées sans ponctuation, sinon des points de suspension qui les isolent chacune en les reliants aux autres. Ces marques, qui sont comme des sutures où le discours cherche son propre souffle, donne à chaque proposition verbale, souvent reprise, répétée et prolongée par d'autres, une allure de plan de cinéma, qui est toujours une vue à la fois achevée et incomplète, close sur elle-même et ouverte sur les plans qui l'entourent et en amplifient le sens. C'est donc en épousant le mouvement du cinématographe que cette enquête est menée, ce qui est sans doute la manière la plus certaine de découvrir cette vie qui l'anime et qui résiste à sa manière à l'industrie et au commerce du cinéma, dont on ne dira jamais assez les effets mortifères qu'ils peuvent avoir sur ce territoire qu'ils occupent avec elle et contre ce qu'elle promet.
Vive le cinématographe !, Rudolf di Stéfano, éditions Al Dante, 2015 - 17 €