Le Festival d’Automne et notamment le Théâtre de Gennevilliers accueillaient déjà en 2009 une pièce de l’artiste américaine, The Shipment. Young Jean Lee est désormais connue pour sa façon de s’attaquer de manière frontale à des sujets dérangeants, complexes, délicats. L’humour est l’une de ses armes principales. Ses créations puisent leurs ressources dans des formes de représentation de la culture populaire auxquelles elles empruntent parfois leurs traits. La chorégraphe revendique son souci de désorienter et d’amuser les spectateurs. Il faut avouer que sa recette fonctionne. La nudité de six performeuses d’Untitleed Feminist Show n’est à aucun moment déstabilisante ou provocatrice. Elle n’est pas non plus esthétisante. Franche, directe, vecteur d’une identité ouverte et fluide, elle découle d’une volonté d’aller au vif du sujet – de se débarrasser des vêtements et des déterminations sociales et identitaires dont ils sont porteurs. Cette nudité devient subversive quand elle expose jusque dans les chairs les conditionnements sociaux et leur emprise sur le façonnement et la lecture des individualités.
Young Jean Lee assume en tant que geste féministe le fait d’exposer au regard des corps féminins non-idéalisés. Le spectacle est pour elle féministe dans la mesure où il tente de contester la vision que les gens ont de ce que ces corps sont supposés être. La chorégraphe mise énormément sur la singularité et la force charismatique de ses performeuses qui viennent d’horizons aussi épars que le cabaret néo-burlesque, les cultural studies ou la scène queer. Hanches bien enveloppées ou plates, seins minuscules ou tombants, les protagonistes descendent lentement des gradins sous les feux d’une salle qui n’est pas encore plongée dans l’obscurité. Leur respiration est forte et régulière, leur pas est appuyé, leur présence écrasante. Une fois sur scène, elles vont s’attaquer à des mythes et lieux communs encore présents dans nos sociétés contemporaines. Elles brisent les canons de la beauté classique et de l’harmonie dans des séquences de ballet désopilantes à forte charge psychanalytique. Des tabous sont mis à plat avec légèreté et allégresse. Dans un mélange furieux de styles, la danse classique, revisitée, avoisine le hip-hop, le jazz, le hard-rock et bien sur la disco !
L’énergie des performeuses fait fonctionner chaque séquence, mais leur enchainement sur le mode de sketchs hérités du théâtre de boulevard finit par lasser. Certes, cet inventaire non raisonné des stéréotypes et idées reçues concernant les femmes est en soi un tour de force. Certes cette pièce est efficace, le public en prend plein les yeux et plein les oreilles. Le rythme, haletant d’un bout à l’autre, l’est peut-être trop ? Tout pointe vers une mise en perspective de décennies d’activisme des courants féministes (et le pluriel est crucial dans cette syntagme), mais l’ensemble reste terriblement attendu et politicaly correct. A trop vouloir embrasser le spectre le plus large possible de faits de société, la chorégraphe semble perdre de vue ses interprètes, qu’elle a par ailleurs magnifiquement choisies, et les faire s’effacer derrière des rôles, en procédant à un enfermement qu’elle déclare vouloir dénoncer.
Nous sortons de cette pièce avec une pure envie d’assister à un spectacle de néo-burlesque !