Le jeu, qui met en mouvement les espaces du Nouveau festival, se décline à merveille sur les territoires de la danse contemporaine. Serge Laurent, programmateur des Spectacles Vivants au Centre Pompidou, et Valérie Da Costa, historienne et critique d’art, imaginent conjointement une nouvelle édition Vidéodanse qui se saisit de la richesse du concept de jeu chorégraphique. Le hasard cher à Merce Cunningham, les tasks de la post modern dance, les codes des danses urbaines et populaires, sont autant de lignes de force d’une programmation qui se déploie au quotidien dans l’Espace 315, transformé pour l’occasion par l’installation immersive de l’artiste Chloé Quenum.
Nous voici donc confortablement assis sur ces tapis magnifiques, car quelque part très familiers, aux couleurs intenses et aux motifs proliférant, parsemés à même le sol, le long des murs et à travers l’espace ou encore superposés en strates accueillantes, chaleureuses, sur des sofas et autres divans, propices à créer une certaine disponibilité aux images, à même d’alimenter une propension à se laisser emporter dans les univers conjurés par les différentes œuvres chorégraphiques.
Pour ce jour de vernissage, Christian Rizzo est l’invité de Valérie Da Costa et Serge Laurent. La discussion s’engage autour de la pièce D’après une histoire vraie, dont les images seront projetées un peu plus tard, à l’heure où, dans d’autres contrées, et plus précisément à Breda au Pays-Bas, les huit danseurs et les deux musiciens qui l’interprètent se préparent à monter sur scène. Il faut dire que le succès est phénoménal, les tournées s’enchainent depuis bientôt deux ans et l’engouement n’est pas prêt de se tarir : quelques semaines auparavant, pour son deuxième passage à Paris, la pièce était jouée à guichets fermés au 104. Le fait de chercher du côté de l’en commun, la double exigence de s’inscrire à la fois dans une histoire anonyme, vécue et partagée par nos contemporains, et dans une histoire d’auteur, tel que l’avoue Christian Rizzo, pourrait ouvrir des pistes pour appréhender le succès public qui vient doubler et consacrer l’ambition artistique de cette création. A la question de la règle du jeu, qui constitue le fil rouge de cette programmation Vidéodanse, le chorégraphe répond en réaffirmant le fait qu’aucune danse folklorique n’est reprise dans cette pièce, qui réussit à saisir l’esprit de l’être ensemble et du faire corps spécifique à ces formes populaires dont les motifs s’agencent dans une multitude de cartographies émotionnelles, sensibles, tactiles, manifestes, un peu à l’image des tapis orientaux qui donnent la couleur et la texture du cadre de cette discussion.
La conception de l’espace se dégage d’ailleurs comme un point essentiel du travail de Christian Rizzo. La comparaison avec les All Over de Jackson Pollock est saisissante, qui dit une manière d’être sur le plateau, consistant à lancer, à partir de ses différents points, des possibilités spatiales, puis prendre de la distance, sortir de la scène et observer ce qu’il se passe. Au fil des pièces, les éléments plastiques chers à ce créateur, dont le parcours passionnant est passé aussi par une école d’art, la Villa Arson à Nice, laissent la place au vide, que le chorégraphe désigne dans la discussion comme l’objet central de D’après une histoire vraie, qui doit être travaillé, malaxé, modelé en tant que matière première, espace en négatif et liant entre les danseurs : le sens vient se déposer dans ce jeu entre les corps et l’espace.
Quant à la question du possible investissement de l’espace d’un centre d’art ou d’un musée par la danse, Christian Rizzo rappelle que sa première création 100% polyester, objet dansant n°(à définir) était justement présentée à la fin des années 90 dans une galerie, pas loin du Centre Pompidou. Il aurait été intéressant de prolonger cet axe de discussion, à l’heure où les chorégraphes sont de plus en plus nombreux à infiltrer les lieux d’art, mais le sujet aurait largement débordé le cadre de Vidéodanse.
C’était par ailleurs un régal d’entendre Christian Rizzo évoquer la puissance électrique et la poésie du son : mon regard est musical. Il ne pouvait pas en être autrement pour celui qui mentionne au passage ses 30 ans de sortie en club, la claque des Sex Pistols ou encore Siouxsie and the Banshees à Londres, les premiers mix de Boy George au Rex, ou l’arrivée sur le continent de Jeff Mills, le son indus de Gerome Nox souvent présent dans ses créations. La musique est toujours là, même en silence ! Et Christian Rizzo la relie à l’essence même de l’écriture, sur une page blanche ou sur un plateau de danse. Ainsi D’après une histoire vraie est à entendre comme un album de rock. La prochaine création promet de participer à une même dynamique, même si Chopin fait également partie de son line-up. Il s’agit de faire du rock avec d’autres moyens !, lance le chorégraphe en véritable meneur de bande. Christian Rizzo a d’ailleurs pris récemment la direction du Centre Chorégraphique National de Montpellier, devenu, par une fulgurante intuition, ICI : il y va à la fois d’une simplicité qui interpelle, d’une adresse et de l’immédiateté d’une sensation physique. Quelque chose suit son cours était déjà le titre d’un livre d’entretiens que le chorégraphe accordait en 2009 – 2010 à Marie-Thérèse Champesme. Une nouvelle page est à écrire ! Quant à sa prochaine création, Ad Noctum, en collaboration avec l’Ircam, elle est déjà très attendue.