Volmir Cordeiro & Marcela Santander / Epoque

Elle est grinçante, toute en tensions, insolente et trouble cette Epoque de Volmir Cordeiro et Marcela Santander. Elle exige d’être regardée en face.

Sur les traces d’éclaireuses de tout premier ordre, telles Latifa Laabissi ou Eszter Salamon, les jeunes chorégraphes se lancent dans une exploration des archives, en prenant pour fils conducteurs certaines figures féminines de la danse du 20ème siècle. Leur parti pris de rompre avec le dictat du visuel et de chercher du côté du pouvoir d’invocation des mots est salutaire. A partir de sources écrites, des descriptions des danses par leurs créatrices mêmes, Volmir Cordeiro et Marcela Santander libèrent leurs facultés imaginaires. Le circuit est passionnant, vertigineux, semé d’embuches, qui va des gestes aux mots pour générer d’autres gestes. Les contextes d’origine, tout comme le contexte actuel, viennent nourrir ces partitions dansées. La place du hors-champ est considérable et l’amplitude historique donne une épaisseur particulière au travail.

La salle basse de la Ménagerie de verre favorise une fois encore l’apparition d’images. Les deux chorégraphes s’en sont emparés, non pas en tant que camera obscura, mais comme bain révélateur. La chimie est puissante, la lumière monte très vite, les deux protagonistes se retrouvent bientôt pris entre deux feux, surexposés. Les membres sont toniques, les gestes circulent, se déclinent. Chaque danseur semble suivre ses voies, ses rythmes secrets pour invoquer les images. Les visages se tordent, les doigts se crispent comme autour d’objets insaisissables, les motifs du cabaret animent les chairs, avec des mouvements beaucoup trop larges, poussés, où la force côtoie l’outrance. La surexcitation devient presque tangible, les figures sont rapidement saturées, leur rage nous est adressée, nous dévisage.

Epoque s’expose tumultueusement, réseau inextricable de tensions. Tension tout d’abord entre les deux interprètes plantés dans l’espace dénudé, comme deux instruments hautement sensibles, subjectifs, d’intensification et de capture des fantasmes des gestes du passé. Tension entre leurs temporalités respectives. Tension enfin entre les figures qu’ils font apparaître.

Epoque se prête aux sautes d’humeurs, abruptes : l’extase, la lascivité, l’effroi, l’extravagance et la joie secouent à tour de rôles, parfois conjointement, les chairs. Les indicateurs sont poussés dans le rouge. La menace de débordement est imminente. Les images se chargent et « crament » très vite, consomment littéralement les corps, les poussent vers l’épuisement.

Une deuxième partie de la pièce s’alanguit sur des plages temporelles plus vastes, explore la contamination et l’effritement des figures. Interprètes fins et virtuoses, Volmir Cordeiro et Marcela Santander jouent avec malice de la frontalité, investissent pleinement et subversivement les codes des genres mineurs. Quelque chose d’indicible, et pourtant explosif, est en train d’opérer. Une dernière montée en puissance et l’obscurité tombe sur la salle de la Ménagerie de Verre. Sur un écran d’autres corps frémissants prennent le relais (1), remparts d’une résistance furieusement exubérante.

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(1) Extraits du documentaire Show na TV Alema (1973) in Dzi Croquettes (2009)

Epoque a été joué à la Ménagerie de verre, les 24 et 25 avril 2015.


Crédits photos : Mélina Jaouen
| Lieu(x) & Co : Ménagerie de Verre

Publié le 29/04/2015