La philosophie des films de Noël Caroll

Première traduction française d'un ouvrage de Noël Caroll, théoricien du cinéma dont la démarche s'inscrit dans la tradition analytique anglo-saxonne, cette Philosophie des films est étonnante a bien des égards. Ce qui déroute, c'est d'abord la méthode, qui semble supposer que la dispute est le préalable, sinon le seul moyen de fonder toute proposition, y compris celles qui semblent parler d'elles-mêmes ou relever du bon sens le mieux partagé. Le théoricien du cinéma ne pourrait poser aucune affirmation que dans l'espace ouvert par le démenti d'idées qui lui seraient contradictoires. 

Surprenante au premier abord, cette manière de déployer l'argumentation cherche peut-être à raccorder le ton de l'exposé à son objet. Les films que nous voyons peuplent en effet nos discussions quotidiennes et sont l'occasion pour nous de mettre toute notre énergie à convaincre nos interlocuteurs. Il y a quelque chose de cet ordre dans le livre de Noël Caroll, ce qui ne signifie pas un manque de rigueur, bien au contraire. Tout un outillage de réflexion, emprunté à la philosophie analytique, est là pour structurer le discours et lui donner un caractère définitif, en apparence à tout le moins. 

Par souci de clarté, les conclusions sont souvent répétées et réaffirmées, et pour la plupart, elles pourraient susciter l'adhésion au premier énoncé, à commencer par celle qui consiste à affirmer que le cinéma est un art — question avec laquelle s'ouvre l'ouvrage en engageant une longue conversation sur d'hypothétiques sceptiques — et que cela ne contraint en rien le cinéaste à travailler dans une direction ou selon un ensemble de déterminations qui lui seraient imposés par la spécificité de son médium, toutes choses que quiconque s'intéresse un tant soit peu à la pratique cinématographique concèderait bien volontiers.

La suite de l'ouvrage s'efforce, dans le même ton, de définir les catégories propre au film, selon un mouvement qui part du film compris dans sa dimension la plus générale — "qu'est ce que le cinéma ?", la question étant posée en référence explicite à André Bazin — pour rencontrer ensuite les problématiques liées à sa matière première (le plan), son mode de "construction"(1), ses effets sur le spectateurs et enfin la manière qu'il a, dans nos discussions quotidiennes notamment, de s'immiscer et de nourrir notre vie sociale, ce qui implique que nous ayons les outils pour évaluer les oeuvres dont nous parlons.

Sans revenir sur la liste des catégories mobilisées dans ce cheminement, et qui ont toutes, dans ce qu'elles affirment, une forme de justesse dans l'apréhension d'un certain aspect de l'image animée, nous pouvons questionner le procédé global, qui semble tenir pour négligeables les puissances du cinéma — la capacité qu'il a de libérer une poétique de la matière et de restituer un réel transfiguré (au sens où le dit réel peut passer dans une nouvelle figure, celle que dessine pour lui le travail du film) — au profit de l'élaboration d'un mode de calcul peu séduisant pour évaluer les films et les comparer les uns aux autres, ce qui revient à les considérer tous comme équivalents, même si le système de notation élaboré par Noël Caroll et auquel les magazines culturels nous ont habitué, en prennant fait et cause pour une sorte de pluralisme cinématographique, semble manifestement vouloir dire l'inverse.

La philosophie des films, Noël Caroll, traduit de l'américain par E. Dufour, L. Jullier, Anna C. Zielinska et J. Servois, Vrin, 2015 - 28 €

 --
(1) Noël Caroll prend un soin considérable à montrer qu'il n'y a pas ni écriture ni langage cinématographiques, en supposant par un tour rhétorique que, lorsque nous parlons du cinéma comme d'un langage, nous envisageons cette analogie comme une identité rigoureuse, ce qui est particulièrement absurde.


| Auteur : Rodolphe Olcèse

Publié le 26/03/2015