Tremble, un moyen métrage réalisé par Rodolphe Olcèse en 2012, retrace le fragment d'une vie, celle d'un homme que l'on suit, qui nous tourne le dos et se perd dans l'ivresse de sa solitude.
Le réalisateur se saisit du Psaume 51 comme point de départ au scénario. Melville, le personnage principal, se plait à lire des passages de textes mystiques, dans lesquels il semble se chercher lui-même. La question du péché et de la culpabilité qui transcende le film abat encore plus cet homme dont le comportement témoigne d'une fragilité mélancolique.
Comme souvent dans les films de Rodolphe Olcèse, venu au cinéma par l'écriture, le rapport à la littérature est en fond présent. L'auteur parsème dans Tremble un certain nombre de citations, plus ou moins évidentes, parfois cachées dans les dialogues, lues en off, ou gravées dans l'urbain sous la forme de graffitis.
Pour faire face à des problématiques de production, la plupart des scènes n'ont été tournées qu'une seule et unique fois, ce qui offre au jeu des comédiens une spontanéité certaine. Inventés par ses acteurs lors de la répétition des scènes, les dialogues se construisent à partir de l'univers personnel du réalisateur. Ce dernier propose à ses comédiens des phrases extraites de couplets de chansons ou de ses lectures qui viennent nourrir leurs échanges diégétiques.
Montrer un personnage en crise, dans un moment d'abandon de soi, telle était la volonté du cinéaste.
Melville boit seul face à l'immensité de l'océan. Dans cette scène de contemplation passive, il est à la limite de la chute en avant, manquant de s'évanouir dans le va et vient des vagues. Entre la vie et la mort, il n'a pas d'autre recourt que de creuser son désespoir. Cependant, malgré cette dualité, le personnage est vivant et poursuit sa quête de frénésie. Il s'enivre sur le port, chante, tourne autour d'un feu imaginaire une bouteille à la main. Il s'attarde dans les bars, contemple les vitrines de sex-shops, entre dans des salles de cinéma pornographique, sans jamais apaiser ses pulsions profondes.
Pour assouvir le désir charnel qui le ronge, il marche dans les pas de Rosa, une prostituée, admirablement incarnée par la comédienne Astrid Adverbe. Elle aussi se saoule et se joue de son propre rôle. Elle s’apprête, soigne sa démarche et son apparence, endosse une autre peau que la sienne : son double érotique. Elle danse. La précision accompagne le moindre de ses gestes. La jeune femme vit dans l'instant. De fait, l'oubli de soi par l'extase est le point commun qui réunit ces deux corps, en proie à une schizophrénie euphorique.
Conduit par la perdition de Melville, le regard échoue lui aussi, s'égare dans des décors atemporels. La ville de La Rochelle, le lieu du tournage, est méconnaissable. On pénètre dans ses entrailles, sales et moites : les ruelles sombres, les terrains vagues, les bars de nuit, un bateau égaré sur la rive rappelle indéniablement la baleine de Moby Dick.
On entre dans une chambre miteuse, dont la lumière révèle toutes les aspérités. Le grain de l'image Super 16, en constante ébullition, et les tâches fugaces de poussières qui se déposent sur les photogrammes ajoutent une épaisseur supplémentaire. Dans cette pièce, un long plan-séquence d'une sensualité extrême resserre le lien entre les deux protagonistes. La prostituée effectue une chorégraphie de l'intime, parfaitement apprise et restituée sous les yeux de son amant. Peut-être le film nous donne-t-il là les prémices d'un sentiment amoureux, naissant dans la colère et l’impossibilité. Le rejet de soi se confrontant ainsi au désir d'autrui crée un effet d'électrochoc pour cet homme qui tremble. Empli de spasmes ventraux, le personnage convulse et suffoque jusqu'à repousser l'autre dans un excès de violence. Car Melville est un personnage en tension, qui semble marcher vers une catastrophe qui a déjà eu lieu, et reste constamment face à l'impossibilité d’être lui-même, tiraillé entre l'amour et la foi. L'être humain qu'il est ne rencontre que des murs. Il est dans l'impasse de son péché. Seul un Dieu peut le sauver. Ainsi, Tremble peut se comprendre pleinement dans l’horizon d'un christianisme singulier, sombre, qui s’enracine dans les pensées de saint Paul, de Luther et de Kierkegaard.
Le montage tend vers trois histoires qui semblent d’abord distinctes. La progression vers le plan-séquence crée des rythmes différents qui font se correspondre plusieurs scènes entre-elles. Trois couples se cristallisent ainsi autour d'un seul homme. Sans raisons, une jeune femme - Moby - et un jeune homme - Achab - surgissent dans le récit. Ils partagent avec Melville des regards, des territoires et des errances. Le couple se réfugie dans un appartement, fume, s'attire et se repousse. Ces jeunes gens foulent le même sol que le héros, connaissent la prostituée qu'il côtoie, respirent le même air lourd et pesant.
Née d'une dispute, une histoire d'amitié propulse le film vers un ailleurs. Melville, absent à lui-même, rencontre Ismaël qui s'immisce dans son univers de naufragé solitaire. Il pénètre dans son antre, ouvre ses livres, les lit à haute voix sur un ton détaché. Il le bouscule, le redresse, l'emporte dans la fougue de sa jeunesse. Dans cet excès de vivacité, Melville et Ismaël partent en mer, prennent le large en laissant derrière eux les méandres d'une ville aussi terne que leur destin. Mais cette dernière image ne donne à voir qu'un départ. La pellicule brûle, les deux hommes nous échappent. Melville lève les voiles et sort du cadre sur son bateau.
La débauche, la sensualité, la quête de soi, le sentiment d'incomplétude sont autant de sujets qui s'entremêlent et nourrissent l'univers de Rodolphe Olcèse. L'ivresse est un motif récurrent dans son cinéma. Ses personnages boivent du whisky à la bouteille, qui reste toujours ouverte, comme une invitation à l'exaltation perpétuelle. Le précieux liquide octroie aux personnages un état second, étourdissant. Dans trouvé, son dernier film, les personnages fument, boivent, luttent et se poursuivent. Ils marchent aussi, longtemps, dans des paysages désertiques.
Tourné en Roumanie et en pellicule Super 8, trouvé met en scène un trio de corps en marche, deux hommes et une femme, que la caméra suit à nouveau. Ce film anachronique de vingt-cinq minutes retrace un déplacement. On passe de la ville de Bucarest aux montagnes de Sinaia. La foule humaine disparaît au profit de paysages graphiques d'une beauté abstraite. L'absence de dialogues renforce les jeux de regards entre le père et le fils. Dans la voiture qui les mène à l'orée d'une forêt, les yeux du patriarche sont notamment sur-cadrés par le rétroviseur. Une insistance qui gèle la dureté de leur expression. Ils gravissent ensuite un sommet, suivis de près par la jeune femme, qu’ils abandonnent à une solitude incommensurable, avant de ne disparaître dans l’image, emportés par le mystère qui les a mis en route.
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Compte rendu du séminaire Cinéma / Parole du 22 février 2015.