Il y a quelques mois, nous avons rencontré Olivier Guidoux, qui développait alors deux projets produits par l'un de nos collaborateurs, Le Coeur, un court métrage de 25 minutes tourné en 16 mm au printemps 2014, et Laval Serial !, une web-série tout à fait singulière et inattendue, loin des standards et des formats habituels que l'on peut voir sur Internet. La série en ligne, Olivier Guidoux revient plus particulièrement sur les enjeux de cinéma qu'elle pose.
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ABLC : Peux-tu revenir sur la genèse de Laval Serial ! ? Comment as-tu eu l'idée de ce projet ?
Olivier Guidoux : L'origine du projet, c'est avant tout mon lien avec la ville de Laval. J'y ai passé toute mon adolescence. Certains décors me parlaient particulièrement, à la fois pour leur potentiel cinématographique mais aussi par rapport à ce lien que j'entretenais avec eux. J'avais très envie de réaliser un film autour de ces décors. Au départ, j'avais l'idée de fictions courtes, des fragments épars, dans ces décors. C'est avec mon producteur, Rodolphe Olcèse, que l'on a pensé au format de la web série.
ABLC : Ce projet a-t-il pris naissance dès ton adolescence, lorsque déjà tu arpentais les rues de Laval ?
Olivier Guidoux : Le projet en lui-même, l'idée d'explorer une ville imaginaire, est assez récent (un ou deux ans avant la concrétisation de la web série). Néanmoins, mon envie de faire du cinéma dans la ville est plus ancienne. Dès l'adolescence, j'avais des envies de fiction dans ces décors. À certains moments de la journée, les rues sont désertes et j'avais la sensation de me promener dans des décors de film. C'était comme si, déjà mis en place, ils n'attendaient plus que leurs histoires. Quand j'ai quitté Laval, j'ai connu d'autres agglomérations et j'ai oublié cette sensation. Cependant, la ville continuait de vivre en moi. Dans mes souvenirs, dans mes pensées, elle restait immuable. Laval Serial ! c'est l'aboutissement de ce que je décris. C'est une ville intermédiaire, entre la ville réelle de Laval et ce qu'elle est devenue, au fil des années, dans mon imaginaire.
ABLC : La ville de Laval Serial ! est une ville fantôme. Les seules personnes que croise G sont celles qui interagissent avec lui dans la fiction. Est-ce l'idée d'une ville atemporelle, d'un espace onirique ?
Olivier Guidoux : Oui, il s'agit bien d'une ville atemporelle. Il n'y a rien de trop moderne, ni de trop rétro. C'est un choix délibéré. L'espace que je décris est proche d'un espace mental. Ce qui m'intéresse, c'est d'être dans un univers familier, sans éléments fantastiques ou merveilleux. A priori, nous sommes dans une banalité la plus totale. Pourtant, il se passe des évènements anormaux, et la ville elle-même n'est en fait pas tout à fait ordinaire. Il n'y a pas de commerces, pas de circulation, pas de voitures. La géographie est également très étrange. Les gens, d'apparence normale, sont tous un peu décalés. Il y a des anomalies, même dans leur logique, mais qui ne sont pas flagrantes. Laval Serial ! c'est un univers en balance, ni franchement réaliste, ni franchement fantastique.
ABLC : Comment décrirais-tu le potentiel cinématographique des lieux que tu as choisi pour Laval Serial ! ?
Olivier Guidoux : Ce qui m'intéresse dans la mise en scène c'est le déplacement des personnages. Souvent, les lieux appellent à une action. Pour moi, un lieu a un potentiel cinématographique quand j'imagine qu'il peut s'y produir un déplacement. Ce n'est pas forcément lié à son esthétique. Mon travail ne se situe pas dans une esthétique photographique. Ce sont plutôt le mouvement et le temps qui m'interpellent. Par ailleurs, certains lieux vont me paraître très beaux parce qu'ils appartiennent à mon histoire personnelle. Ils font raisonner quelque chose en moi de l'ordre de l'inconscient. Ce n'est qu'à partir de là que je peux créer des histoires.
ABLC : Pourrais-tu parler de la personnalité de G, le personnage principal ?
Olivier Guidoux : Le personnage s'appelle G, en référence au personnage K de Kafka. C'est quelqu'un qui se fait tout le temps avoir malgré lui parce qu'il doute toujours du bien fondé de son action. Il est trop poli, trop gentil, mais en tout cas il se sent toujours coupable et obligé de bien faire. C'est aussi un personnage étrange car il agit très peu, ce qui n'est pas tellement recommandé en fiction. G n'a pas de but, il ne cherche rien. Il est là, il marche, et soudainement des choses lui arrivent. Au fur et à mesure des épisodes, il devient possible de distinguer ses divers traits de caractère, lesquels se complexifient. En outre, la personnalité du comédien, Anthony Moreau, a impacté celle de mon personnage. Il a su apporter une douceur, une bonhommie, que je n'avais pas prévue pour le personnage de G.
ABLC : C'est étonnant que tu dises que G ne cherche rien. J'avais le sentiment qu'il revenait dans cette ville après un temps d'absence. Pour toi, il erre donc sans but ?
Olivier Guidoux : Non, il ne cherche rien. J'ai écrit ces épisodes comme des rêves. Dans un rêve, on se retrouve dans une situation que l'on doit gérer comme on peut. Cependant, plusieurs interprétations sont possibles : soit G erre dans son inconscient, comme si la ville imaginaire de Laval Serial ! était son cerveau ; soit il rêve, et, dans ce cas, il revient toujours à son point de départ. Chaque épisode est comme une boucle cauchemardesque. G n'avance jamais. C'est un personnage sans passé, quasi amnésique, et lorsqu'il se retrouve confronté à son passé, il perd pied. Dans tous les épisodes, il y a une confusion entre le présent et le passé. Les frontières sont abolies. Dans l'épisode "Claire" par exemple, G retrouve son ancienne copine, qui a évoluée comme lui, mais qui a toujours 17 ans en apparence. C'est aussi mon histoire avec Laval : il y a la ville réelle et le souvenir que j'en garde.
ABLC : Comment as-tu choisi tes acteurs ? Y a-t-il des comédiens qui ne sont pas professionnels, des habitants de Laval par exemple ?
Olivier Guidoux : Mon assistante m'a présenté Anthony Moreau et je me suis très vite positionné sur lui. Je lui ai fait confiance. Cela m'intéressait de voir ce qu'il pouvait apporter au personnage de G. Quant aux autres comédiens, c'était très important pour moi qu'ils soient tous issus de Laval, ou au moins des alentours. Ils sont soit comédiens professionnels, soit amateurs.
ABLC : Je me risque un peu, mais je trouve qu'il y a presque une part documentaire, et ce malgré la dimension fictionnelle très affirmée. Tu choisis des comédiens qui ont déjà une expérience de la ville, on pénètre dans des maisons, les situations sont finalement assez probables.
Olivier Guidoux : J'utilise les décors mais pas seulement. Il y a aussi les intérieurs, les gens qui les habitent, la lumière et l'univers propre à Laval. Je me devais de faire entrer l'essence de la ville dans mes fictions. Déontologiquement, il fallait que tout soit issu de la ville réelle. En quelque sorte, il faut que la ville parle. De plus, j'ai des affinités avec les gens que j'ai choisi pour interpréter les personnages de la série. Inconsciemment, j'ai sollicité des gens qui viennent du même milieu social que moi, dont je me sens proche.
ABLC : Est-ce que chacune de tes fictions est relative à une anecdote personnelle ?
Olivier Guidoux : Certaines expériences me sont arrivées, comme retrouver le porte feuille de quelqu'un et le lui rapporter. Les épisodes de Laval Serial ! commencent quasiment tout le temps de la même façon : G croise une connaissance ou un ami. C'est quelque chose qui m'arrive souvent à Laval quand j'y retourne. Cela m'a fortement influencé pour écrire le scénario de la série, mais tout s'est fait de manière très inconsciente.
Marie : Tu disais que tu avais choisi Anthony Moreau parce que tu sentais qu'il pouvait s'emparer du personnage de G et lui apporter quelque chose que tu n'avais pas prémédité. En est-il de même au moment du tournage, y a t-il une part de liberté, d'improvisation ?
Olivier Guidoux : Pour Laval Serial ! tout est écrit. Il y a comme une mécanique très précise qui ne laisse pas de place à l'improvisation. Il faut savoir aussi qu'on tournait très rapidement et que nous devions être très efficaces.
ABLC : Où se situe selon toi l'exigence cinématographique dans ton travail ?
Olivier Guidoux : Mon cinéma n'est pas forcément audacieux, ni révolutionnaire, ma mise en scène demeure très classique (c'est peut-être cela qui la rend différente à l’heure actuelle).
Pour moi, parler d'exigence cinématographique, c'est, je crois, vouloir placer le cinéma, l’émotion cinématographique, au dessus de tout, au dessus par exemple de l’histoire. Ce qu'on demande beaucoup au cinéma de nos jours, c'est de raconter une histoire, de faire évoluer des personnages, etc. Du coup, le cadrage, la lumière, la mise en scène sont considérés comme des outils pour atteindre ce seul but.
En tant que réalisateur, mon but est plutôt de rechercher une émotion qui ne vienne que du cinéma, et du coup je considère que l'histoire, les personnages ne sont que des outils au service de cela, pas le but. Des outils très importants, qu’il faut soigner, mais qui restent juste des outils, pour atteindre cette émotion cinématographique. C’est une question de hiérarchie. La question est de savoir ce qu’on met au sommet de la pyramide : une histoire ou une émotion cinématographique, qui doit servir qui.
Par exemple, dans l'épisode "Le Jardin public", ce qui me touche au final c'est le dernier plan dans lequel une statue tient dans ses mains un coffret. En tant que spectateur, je ressens une émotion face à ce plan. Et je comprends que tout le processus du film est d'arriver à ce plan et de tenter par là même de déclencher une émotion. Pour moi, le cinéma peut tenir dans un plan ou dans un unique mouvement de caméra.
Le paradoxe c'est que la série Laval Serial ! est extrêmement scénarisée. Mais ce qui me plaisait beaucoup c'est que je n'étais pas obligé d'achever un récit ou de faire évoluer un personnage. C’est très libérateur.
ABLC : Pourquoi avoir choisi de divulguer les sept épisodes en une fois alors que le dispositif sériel permettait de faire durer l'évènement plus longtemps ?
Olivier Guidoux : C'est une décision commune avec mon producteur. Un seul épisode ne se suffit pas à lui-même. Ce n'est pas satisfaisant pour moi parce que c'est l'accumulation des situations qui crée l'intérêt.
ABLC : Envisages-tu de réaliser un long métrage ?
Olivier Guidoux : Olivier Guidoux : Récemment, je suis tombé sur une interview de Pialat où il évoquait un musicien qui disait, en parlant de certaines musiques, « c’est des musiques que c’est pas la peine ». Et Pialat disait que pour beaucoup de films c'est pareil : « c’est des films que c’est pas la peine ».
Pour faire un long métrage, il faut, selon moi, un désir puissant de cinéma, quelque chose de viscéral et d’unique. Sinon, effectivement « c’est pas la peine ».
De plus, je pense qu’il y a aujourd'hui de plus en plus d'autres façons de faire vraiment du cinéma, en dehors du long métrage. On peut sérieusement se demander si le long métrage est encore la manière la plus pertinente d’en faire.
Retrouvez tous les épisodes sur le site Laval Serial !