Cinéma / Parole #9. Blaise Othnin-Girard

Michel ou 9 jours dans la vie d’un ho s’inscrit dans une histoire qui s’est ouverte il y a 25 ans, à l’hospice départemental de Mâcon, où Blaise, jeune garçon de 16 ans venu là pour un petit boulot estival, a rencontré Michel et plusieurs autres pensionnaires. Dès cette époque, il était évident pour lui qu’il était possible et nécessaire, dans ce contexte particulièrement dur, de saisir chez les patients qu’il fréquentait des bribes d’humanités auxquels l’institution elle-même ne pouvait être qu'aveugle. Blaise et son père décident alors de faire un film sur cette institution, ce qu’ils feront en organisant trois sessions de tournage espacées de 10 ans : 1989, 1999 et 2009, ce qui donnera lieu à une trilogie, encore en montage, intitulée Les vagabonds des étoiles. Sur cette longue période, ils perdent Michel de vue à plusieurs reprises. En 2009, ils le retrouvent, enfermé dans une unité psychiatrique dite « complexe ». Il est physiquement très affaibli par les médicaments : maigre, vouté, il a perdu presque toutes ses dents, et marche difficilement. La décision s’impose alors de garder contact avec lui, et de filmer les visites qu’ils vont lui rendre régulièrement.

Ce contexte étant posé, le film s’impose par les puissances conjointes de son sujet et de sa manière. Michel ou 9 jours dans la vie d’un ho pose un acte de cinéma tout à fait singulier, devant un homme qui se donne d’emblée comme un personnage, un héros de cinéma, comme aime à le souligner Blaise Othnin-Girard. Dans sa construction, qui consiste à mettre en scène la répétition d’une situation d’épreuve d’un temps qui ne passe pas, les journées étant tout entières rythmées par les seuls repas et goûters, le film accorde son propre mouvement avec la durée subie par Michel et qu’il n’aurait pu donner à sentir autrement qu’en nous confrontant nous-mêmes à la patience qu’elle demande.

Il était très important, pour Blaise Othnin-Girard, que le film, en cherchant l’homme Michel, permette de s’extraire du contexte psychiatrique qui lui donne son cadre et son point de départ, et par lequel il est nécessairement rattrapé. De là cette nécessité, dans Michel ou 9 jours dans la vie d'un ho, de construire la narration à partir de deux régimes d’expression cinématographique a priori distincts, mais indéfectiblement soudés : celui du prologue, qui pose un univers romanesque et cinématographique à la "démesure" de Michel, et celui spontané, mais néanmoins écrit et construit, de l'immédiateté du lien qu’il s’agit de tisser avec lui, par le biais d’une caméra suffisamment légère pour ne pas entraver le mouvement du film. Le prologue permet de sortir de l’anecdote, et place d’emblée le film dans une dimension d’intemporalité, la seule sans doute qui permette de rencontrer pleinement une existence qui se joue dans un espace où le temps lui-même semble ne plus avoir cours.

25 ans, c’est le temps qu’il aura fallu à Blaise Othnin-Girard pour apprendre à filmer Michel, trouver cette manière à la fois juste et inouïe de s’accorder à lui, son temps, son rythme et ses gestes propres, dans une épure complète, sans la moindre fioriture, dans un espace si nu que, pour le cinéaste qui y pose sa caméra, tout est là. Prendre le temps de la réflexion, ce serait passer à côté de l’essentiel de ce qui se trame ici, entre l’espace, « le pensionnaire », et la caméra, devenue organe sensoriel, qui doit pouvoir se connecter directement à ce dernier, ne serait-ce que pour cette simple raison, qui impacte la forme même du film, que le tournage peut s’interrompre à tout moment.

L’aridité de certains plans, le flottement du cadre, tous ces instants qui, dans un autre contexte, fragiliseraient une proposition de cinéma, donnent ici toutes leur force aux images. Ce n'est pas la technique qui fait défaut, mais le motif du film qui est si puissant qu’il fait bouger les lignes et place dans un tout autre horizon les nécessités plastiques et formelles du cinéma. En même temps qu’il échappe au film, Michel semble le prendre par la main, et le conduire là où lui seul sait aller. C’est ce qui fait que, définitivement, Michel échappe au statut de document qu’il pourrait avoir dans un reportage, et que Michel ou 9 jours dans la vie d'un ho relève d'une exigence cinématographique dans laquelle Blaise Othnin-Girard a engagé sa vie entière. Le lien qui le relie au cœur de Michel, c’est le film. La question technique s’est dissoute pour permettre pleinement à ce lien d’exister, et de se traduire à travers des paroles fortes et décisives - sur la psychiatrie, ce qui lui donne une dimension politique évidente, et plus décisivement sur l’amour et sa puissance de métamorphose - par lesquelles la voix de Michel, qui comme celle des prophètes, clame dans le désert, prend une envergure qui nous conduit bien au-delà de cet enfer aux murs blancs qui voudrait l’étouffer.

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Compte rendu du séminaire Cinéma / Parole du 16 novembre 2014.


| Auteur : Rodolphe Olcèse
| Artiste(s) : Blaise Othnin-Girard
| Lieu(x) & Co : Collège des Bernardins

Publié le 16/11/2014