Son moteur tout juste enclenché, une caméra est posée sur une plage du nord, l'objectif orienté vers le sol, laissant au hasard le soin de rassembler pour lui les jeux de deux enfants qui creusent dans le sable. La bande son du film indique la présence hors cadre de leur mère et d'Edith, qui assistent à leurs trouvailles tout en discutant de ce qui les a conduit là, ce jour. Frédérique Devillez jette rapidement son œil dans le viseur, cadre à la hâte en direction de l'horizon, pour que le film puisse être au travail pendant que la discussion avec Edith s'engage. La réalisatrice souhaiterait qu'ensemble elles produisent une trace, qui vienne en quelque sorte combler, autant que faire se peut, la faille ouverte par une parole qui peine à circuler dans la famille.
Enfants, poussières est un geste qui veut témoigner d'une modalité du cinéma, qui peut se déployer tout en retenue pour s'immiscer dans notre intimité et y devenir l'espce même où un secret peut lever le voile sur la nécessité de sa transmission, ce qui ne va pas sans la découverte conjointe de sa capacité à faire histoire, selon une logique qui lui est propre. Le dispositif filmique, à la fois capture et libération du secret, est sa forme et son contenu ensemble, son expression même. Car un secret ne peut exister comme tel qu'à se communiquer à une oreille qui voudra bien l'accueillir. Le film de Frédérique Devillez procède ainsi d'une confiance en l'outil caméra, présupposée par toute expérience filmique véritable, et qui ici est déterminante quant aux formes que l'écran pourra restituer.
Enfants, poussière se développe au coeur d'une dimension technique restreinte, minimale, un presque rien cinématographique qui veut rendre féconds empêchements et difficultés existentiels qui peuvent être à sa source. Le film, pensé comme un retrait dont les résultats brillent de ne rechercher ni éclat, ni efficacité, est la rencontre délicate et heureuse dans ses effets d'un plan séquence et d'une bande sonore elle même conçue dans la continuité d'une prise unique. Par ce moyen, il livre, en même temps que la recherche de son sujet, les suspens et les hésitations par lesquels elle passe nécessairement, et que les opérations techniques habituelles du cinéma — écriture, découpage, montage — tendent le plus souvent à occulter. Nous ne pouvons vouloir produire une trace si d'avance nous savons ce qu'elle va être. Il y a une part d'inconnu devant quoi le cinéma lui-même, dont les mouvements portent toujours au-delà de nos intentions et de nos désirs, devient une puissance d'agir et de révélation.
Mais cette décision d'en faire, pour ainsi dire, le moins possible, pour que quelque chose advienne, que la réalisatrice provoque sans pouvoir le contrôler vraiment, reste un acte de cinéma, qui ici est particulièrement profond et cohérent. Venue sur cette plage, quelques années auparavant, disperser au vent les cendres de sa mère défunte, Frédérique Devillez donne une dimension nouvelle à une relation familiale dont nous apprenons par ailleurs qu'elle était vécue douloureusement. Le matériel de tournage utilisé, sensible à la poussière et à toutes sortes d'impureté, au point que les images qu'il produit en sont marquées de manière définitive et irréversible, est sans conteste le médium qui, dans l'économie du film, pouvait capter quelque chose de cette présence absence dont Enfants, poussière veut retenir une manifestation, la plus mince soit-elle. Une manière simple et évidente de rappeler qu'un lien subsiste avec ceux qui, pour nous avoir quitté, n'en continuent pas moins d'impressionner nos jours, et qu'un des lieux du cinéma est de nous permettre d'en témoigner auprès de notre entourage.