Le petit d’Arthur Harari, Me Damne d’Astrid Adverbe et La route des hêtres d’Antoine Parouty, sont des films qui montrent que le cinéma, et sans doute est-ce un trait qu’il a en commun avec toute pratique artistique, est dans son lieu quand il répond à une nécessité. Il est frappant de voir à quel point, dans la diversité des formes mises en œuvre, ces trois films sont gagnés par une même urgence de capter quelque chose de la fragilité de l’existence quand elle doit faire face au travail du temps, dont le sens est aussi de nous séparer de nos proches et de nous reconduire solitairement au mystère de notre présence au monde.
Le petit, film d’une simplicité déconcertante dans son dispositif, qui consiste à chercher l’identité de deux plans séquences tournés à quatre ans d’intervalle, est à cet égard d’une éloquence rare. Si le réalisateur et son petit frère sont ensemble dans le cadre, c’est pour poser des questions qui paraissent devoir s’affronter seul. L’irréversibilité du temps, le sens de la mort, ce qu’elle ferme et ce qu’elle ouvre sont des thèmes qui affleurent dans une discussion à deux, mais c’est bien, le jeune Lucas le dit avec une justesse incroyable, lorsque nous sommes seuls avec nous-mêmes, la nuit, qu’elles deviennent des questions proprement nôtres. Ce qui cherche à se dire avec des mots d’enfant, mais un sérieux profondément adulte, le film le donne à voir dans son simple déroulé. La juxtaposition de deux moments filmés avec un même cadre, les mêmes interlocuteurs, et un retour sur les mêmes questions, montre sans détour cette perte inévitable autour de laquelle se joue l’ici et le maintenant de notre existence, cette faille qui nous engage au-delà de nous-mêmes.
Des préoccupations très proches se formulent, selon un impératif filmique tout différent, dans Me damne d’Astrid Adverbe, qui cherche à tisser un lien là où l’histoire familiale semble avoir brisé de manière définitive toute communauté fraternelle. Les frères cadets d’une famille noble et d’obédience pétainiste désavouent publiquement leur ainé pour marquer, de manière irréparable, leurs divergences politiques. Me Damne est le récit d’une filiation impossible. La réalisatrice veut tisser des liens nouveaux dans la séparation, et met son film à l’épreuve de son impossibilité. Elle veut témoigner d’une légitime souffrance de son oncle mais celui ci ne lui adresse que des signes de détachement à l’égard des antécédents familiaux qui ont nécessairement bouleversé sa vie. Il n’y a plus alors qu’à mettre le film au cœur du film, notamment lors de cette séquence ou la réalisatrice demande à son oncle François de lire la note d’intention de son projet. Le geste est nécessaire pour que, dans cet échappement perpétuel et cette absence de maîtrise, quelque chose advienne malgré tout qui fasse mémoire des fractures passées. Le film, conduit caméra à l’épaule et dans une constante mise en danger, est le beau résultat de cette fragilité et de cette incertitude.
La route des hêtres d’Antoine Parouty est un film pareillement habité par cette exigence de recueillir une parole traversée par des vies disparues, et qui veut exprimer les liens qui continuent de l’attacher à elles. Son oncle Joseph évoque, face caméra, des bribes de sa vie avec Marcelle et les difficultés qu’ils ont dû affronter tous les deux pour accompagner leur fils dans la maladie. La caméra s’attarde sur les pièces de la maison vide, les objets qu’elle contient, et qui renvoient au métier de couturier de Joseph. En contrepoint de la parole d’intimité du vieil homme, et comme pour trouver ailleurs des éclats de l’excès autour duquel elle se noue, l’attention d’Antoine Parouty se porte sur des choses en apparence anodines – des goutes de pluie qui chutent vers l’objectif de la caméra, la cime des arbres dans une forêt de Corrèze, les pierres d’un mur saisi par à coup dans des plans très brefs – mais qui montrent pourtant que le visible est ouvert, et comme tremblé par un à venir où d’autres nous précèdent nécessairement et peut-être nous attendent.
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Ce texte a initialement été publié sur le blog de la recherche du Collège des Bernardins, suite à la programmation du Cycle Jeune création du 12 mars 2012.