L'ouvrage de Raphaël Bassan trace, selon la méthode de l'abécédaire, les contours fluctuants, et dont le sens même est de ne jamais se figer, de ce territoire singulier que nous appelons le cinéma expérimental. Pourquoi un abécédaire ? Sans doute parce que l'on serait bien en peine de donner une définition rigoureuse de cette expression autrement qu'en présentant les productions qui se rencontrent à travers elle. S'il existe un cinéma expérimental, nous ne pouvons le connaître qu'à en faire l'expérience. C'est sans doute le premier enseignement de Raphaël Bassan, qui est, comme le rappellent les textes introductifs de Dominique Païni et de Nicole Brenez, de toutes les séances où peuvent être joués des films expérimentaux, qu'elles proposent un retour sur des oeuvres historiques ou permettent à des tentatives de la plus jeune avant garde de rencontrer les écrans.
Aussi, ce qu'il y a de remarquable dans la somme que nous offre les éditions Yellow Now, c'est cette manière de traduire la coexistence, sous un même titre, de pratiques très diverses, d'un point de vue non seulement formel, mais aussi historique ou littéraire. Les études approfondies proposées pour telle revue ou telle autre cèdent le pas à des notules, des critiques ou des présentations circonstanciées de cinématographies largement méconnues. Pour autant, il est impossible dans une telle entreprise de prétendre à une quelconque exhaustivité. ll appartient au cinéma expérimental de se configurer aussi à partir de nombreuses signatures qui se tiennent dans l'ombre, qu'un cinéaste a pu voir et dont il a pu nourrir sa pratique, et que le public pour sa part ne découvrira peut-être qu'au hasard d'une errance sur le réseau Internet. Si Raphaël Bassan a essayé d'être le plus complet possible, en rassemblant des textes publiés dans tous les médias auxquels il a collaboré, et ils sont nombreux, un abécédaire reste une opération de prélèvement et de mise en relation. Toute connaissance est sélective, subjective et personnelle. Elle l'est d'autant plus quand elle traduit un regard né dans les eaux d'une poésie parfois sombre (1), comme le rappelle Nicole Brenez dans sa préface.
Le plaisir est ainsi réel de voir se côtoyer dans un même ouvrage, et parfois dans un même texte, des noms aussi importants que ceux de Germaine Dulac, Hans Richter ou Kenneth Anger, et d'autres plus récents, qui doivent encore écrire leur propre histoire, et à travers elle, celle du médium qu'ils ont choisi, comme Johanna Vaude ou Augustin Gimel. Raphaël Bassan trace des lignes qui doivent en appeler d'autres, à travers lesquelles le cinéma dessine sa face étoilée. Le septième art est une affaire de projections et de rencontres. A sa manière, Cinéma expérimental dit celles qu'ils restent à faire. Raphaël Bassan fait grand cas des coopératives, laboratoires, éditeurs de textes ou d'images. Il montre par là que le cinéma est à l'oeuvre, et que ce qui l'intéresse, c'est l'effectivité d'une pratique, qui se nourrit d'époques, de champs, et de formes qui peuvent lui être parfaitement hétérogènes, mais dont il a besoin pour montrer son visage, qui a en propre d'être toujours à venir.
Le cinéma expérimental. Abécédaire pour une contre culture, Yellow Now, 2014 - 30 €
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(1) Rites et rituels, recueil de poèmes (1966-1972), Europe /Poésie, 2001