Un homme vêtu de blanc sort de la nuit et avance doucement vers la caméra. Ses mouvements sont lents, comme ralentis. L'appel strident des grillons, qui situe la scène dans un sud chaleureux, devient cette musique du silence que nous pouvons entendre, lorsque le soir s'installe dans la torpeur de l'été, une mélodie offerte en prélude à un récitatif à venir. Arborant une casquette de marin, un panier rempli de bouteilles de lait au bout du bras, l'homme semble tout droit sorti d'un roman de Jean Genet. La caméra suit son mouvement vers une lumière étincelante. L'homme est un astre qui part à la rencontre d'un autre corps céleste.
Dans une économie de moyens saisissante, Marie Vermillard réinvente le sens de la voie lactée, en lui donnant une forme et une origine inédites. Elle substitue à l'épisode de la mythologie grecque, qui voyait le commencement de la voie lactée dans le geste d'Héra arrachant Héraclès de son sein, celui d'un homme traversant la nuit, marchant vers l'aube, s'arrêtant un instant pour verser du lait sur le sol avant de ne reprendre sa route. Le film de Marie Vermillard entend nous adresser, à travers cette courte mise en scène, une question essentielle : comment une image peut-elle prendre en charge et ouvrir une autre image plus vaste qu'elle ? Comment une forme cinématographique peut-elle illustrer, c'est-à-dire dessiner, mais aussi éclairer, l'immensité du ciel au dessus de nous ? Ce que prend sous sa garde le film de Marie Vermillard, pour nous y envoyer, est considérable. En quelques plans, La voie lactée célèbre à sa manière la joie que nous pouvons éprouver de manière quotidienne, ce mystère incompréhensible d'exister et de pouvoir marcher, là, sous les étoiles. La forme que le porteur de lait donne à sa voie lactée s'inscrit dans le cadre comme un large point d'interrogation, qui demande pour seule réponse que nous poursuivions notre chemin sous le ciel.
Il est beau et réconfortant que Marie Vermillard poursuive ici le sillon ouvert par ses précédents films, où le dépouillement de moyens ne traduit pas un renoncement aux figures cinématographiques, mais est à la fois une manière de les questionner et de nous les offrir en signalant en elles de nouvelles possibilités aussi bien narratives que plastiques. Car l'homme de La voie lactée est assurément un personnage de cinéma, une étoile, qui comme toutes les étoiles, va disparaitre au point du jour, laissant notre coeur et notre regard reposés par la nuit, vacants pour tant de rencontres à venir, qui nous ouvrent la route presque malgré elles, en la parcourant avec nous.