Plongés dans les archives Guattari, Graeme Thomson et Silvia Maglioni tombent sur un scénario de film de science fiction écrit par Félix Guattari, accompagné d'une série de documents permettant de recomposer la genèse de ce projet qui ne verra jamais le jour, mais qui mérite cependant d'être inscrit dans l'histoire du genre, qu'il travaille peut-être lui-même à la manière de cet Univers Infra-Quark, placé dans un recoin de notre monde et capable de le parasiter. La longue introduction à Un amour d'UIQ s'efforce ainsi de montrer le cheminement de Félix Guattari, avec l'aide de Robert Kramer, sur les territoires du cinéma d'exploitation, cherchant à atteindre à la fois le CNC, Hollywood et le désert rouge, sans rien trahir de ce qu'il est lui-même : militant, psychanalyste, écrivain de philosophie, notamment aux côtés de Gilles Deleuze. Autant de pôles susceptibles de déterminer cette machine désirante que doit être un film.
Le texte de Graeme Thomson et Silvia Maglioni s'intéresse donc à la fois aux données factuelles liées aux développement du scénario, auquel Felix Guattari a travaillé avec son ami Robert Kramer, qu'à la communication du projet avec une certaine histoire de la science fiction, dont il épouse quelques lieux communs tout en les transformant radicalement, et avec plusieurs aventures militantes ou musicales qui lui sont contemporaines et qui communiquent avec elle. C'est ce maillage que mettent en lumière plusieurs trajectoires de cinéastes. Graeme Thomson et Silvia Maglioni évoquent ainsi David Cronenberg ou FJ Ossang.
Un amour d'UIQ place son récit dans un vaste bâtiment industriel désaffecté, occupé par une communauté de "subjectivités moïques" qui vit dans les marges de la société. C'est dans cet environnement aux tonalités punk qu'UIQ (Univers Infra Quark), une entité non "moïque", est activé et prend visage dans un poste de télévision. Ce personnage infra terrestre se déploie ainsi dans une sorte de devenir humain, pensé d'emblée comme inscription dans une communauté, qui aura des conséquences irréversibles sur son être. En contact avec ce groupe d'hommes et de femmes, et découvrant les sentiments qui circulent entre eux, UIQ perd le contrôle. L'expérience de l'amour, sous les dehors de la jalousie et de la souffrance, devient le moteur d'un drame qui conduira au sacrifice de celle dont il est épris.
Un amour d'UIQ est un riche foyer de potentialités dont le cinéma peut se nourrir. Le projet regorge de situations et d'images qui semblent avoir été écrites pour ces nouvelles technologies qui permettent aujourd'hui au cinéma de se déployer en direction d'une plasticité inédite. En le pensant comme "un film qui manque", Graeme Thomson et Silvia Maglioni montrent comment ce foyer est agissant, dans les interstices et entrelacs des formes visibles, et provoque peut-être, dans un dérèglement machinique, tant de films qui n'auraient pas été possibles sans son absence. Comme l'être aimé qui, loin du coeur qui soupire après lui, reste la cause prochaine et immédiate de ses mouvements et de ses actes.
Un amour d'UIQ. Scénario pour un film qui manque, Silvia Maglioni et Graeme Thomson (dir.), Isabelle Mangou (coll.), Editions Amsterdam, Paris, 2012 - 20 €