Interactions sensitives avec Laurie Peschier-Pimont
« La vague qui se lève, pour moi, c’est un bonjour. Et au-delà du bonjour, c’est l’appel ; donc je décide de briser le rapport de frontalité, je pars me fondre dans l’océan. » La danseuse et chorégraphe Laurie Peschier-Pimont travaille avec l’environnement. Le maritime pour son projet Waving qu’elle mène avec Lauriane Houbey et un collectif d’amateurs. Les recherches en studio ont déjà commencé à Nantes, nourries par l’imaginaire de l’océan ; les pratiques sont en train de se construire, de trouver leur dynamique et leurs interactions. Se demander comment un projet tel que Waving naît-il, c’est un peu comme s’interroger sur l’origine de la vague. « Elle est une onde dont on ne connaît pas encore précisément l’origine. Est-elle l’effet d’un coup – le vent par ses turbulences, taperait sur l’eau, engendrant une différence de pression et donc une pente ? Ou est-elle l’effet d’une poussée – le vent, massant l’eau, exercerait une tension sur la surface et, par voie de conséquence, une pente, un pli ? », a pu écrire Gibus de Soultrait dans son Entente du mouvement (ouvrage réédité chez Surf Session Éditions en 2011). Coup ou poussée ? La réponse à l’origine d’un projet se voit rarement dans la question de l’origine. Mais bien plutôt dans l’effet de l’appel. Qu’est-ce que l’appel me fait, fait à mon corps, fait dire à mon corps ? En acceptant l’appel, je l’accepte dans son entier. De la lettre A à la lettre Z. Alors, peut-être, il n’y aurait pas d’origines. Alors, peut-être, il n’y aurait qu’un alphabet de pratiques.
ABLC : Quelle est ta perception de l’océan ?
Laurie Peschier-Pimont : L’océan est une masse liante. Dessus, dedans, dessous. Qu’on soit dessus en naviguant ou en surfant, qu’on soit en train de se baigner dans la surface de l’eau ou sous l’eau. Le fait d’être pris dans cette masse permet de ressentir le potentiel de vies, d’épopées et d’aventures qui y ont vu le jour. Elle fait également communauté : du plancton, des animaux et des humains y traversent et y voyagent selon la chimie des courants ; chimie dans laquelle il y a une possibilité de télescopages ou d’associations.
ABLC : Comment est ton corps dans cette masse ?
Laurie Peschier-Pimont : Mon corps apprend à devenir l’environnement, à devenir l’eau : sa direction, son rythme, sa puissance… C’est la possibilité d’une infinie conversation ou d’une infinie conversion. Et cette conversation passe avant tout par la nage. Parce que j’ai d’abord accepté que ce soit le milieu qui m’enseigne et moi qui m’enseigne de ce milieu. J’ai voulu passer sous et sur des vagues au risque de me faire prendre dans des courants, comprendre entre quelle couche d’eau et telle autre je passais. C’est une visualisation sensitive. Dans l’océan, je ne sais pas ouvrir les yeux, mais j’étais très sensible au niveau du son. C’était la perception de la machine sonore qui m’informait. Je me laissais beaucoup couler avec un effort de non-volonté pour mieux sentir les forces d’absorption et de régurgitation. Jusqu’à devenir une couche d’eau moi-même. Dans le fait d’être inactive, je ne suis pas encore allée assez loin. Maintenant, j’aimerais tenter la technique du bouchon qu’un ami, maître zen, pratique. Il se laisse intégralement flotter, sans aucune résistance en se considérant comme un bout de bois : il se laisse faire par le milieu, il a décidé d’avoir complètement confiance dans cet environnement. Il parle de système. La vague est une machine qui fonctionne très bien à partir du moment où il n’y a pas de heurts ou d’obstacles. Il faut donc avoir confiance dans le fait que notre peau contienne notre tout. Et réaliser que si l’on décide de se glisser dans cette peau, nous sommes contenus.
ABLC : Que vient apporter la pratique du surf ?
Laurie Peschier-Pimont : La pratique du surf m’a permis de changer de relation. Dessous, dessus, dedans. L’apprentissage du surf, c’est avant tout l’apprentissage de la chute. C’est un contexte inouï pour apprendre à accepter de chuter, à accepter d’être tout petit. Dans une chute, le pouvoir de ta décision est infime par rapport au pouvoir de la machine, mais tes décisions, si infimes soient-elles, peuvent faire toute la différence. La planche est ce point d’appui sur l’océan qui te permet d’être « sur ». Quand tu es derrière le line up, à attendre que la vague arrive, la planche devient ce minimum d’île, ce radeau qui permet au corps d’écouter le rythme de l’océan. On peut se déposer sur la planche, s’allonger : il y a quelque chose de très suave dans ce dépôt. On peut dire : « Je sens l’onde » ; mais on peut dire aussi : « Je sens une respiration » et embarquer un imaginaire. Ou décider de dire : « Je sens l’inconscient. » Et alors on embarque bien davantage : une relation entre lui et moi, entre lui et nous. Entre ce qu’il véhicule, ce qu’il transporte et ce qu’on est en train de vivre. En surfant une vague, on vit une fraction de l’histoire mais également on reçoit toute l’histoire, parce que la vague du bord est en réalité la fin de la vague, c’est-à-dire une accumulation d’énergies constituée au lointain – ayant son propre mode de propagation, sa fréquence ou son rythme – et qui, rencontrant un obstacle que ce soit un banc de sable ou des rochers, provoque le soulèvement.
ABLC : Que se passe-t-il quand tu es « dedans » la vague ?
Laurie Peschier-Pimont : C’est une forme de tunnel où tout est possible, juste devant. Un espace-temps ralenti où, pourtant, la vie est « crépitante ». Les choses prennent le temps d’arriver, même si la fulgurance traverse l’instant. Je suis dans une forme d’hyperconscience : toutes les sensations sont mobilisées au maximum. Je me sens vivre intégralement, intensément. Le son devient mat. Une matité, presque sans son. Les dimensions s’ouvrent. Le passé et le futur émergent. C’est assimilable à des pratiques d’hypnose : sans effort, les informations arrivent… Et je n’ai pas à juger du statut de ces informations, ce n’est pas la vérité. Simplement, ce sont des informations qui arrivent parce que le canal est ouvert.