Dans Sortir du cinéma, histoire virtuelle des relations de l'art et du cinéma, Erik Bullot, lui-même réalisateur de films qui peuvent aussi bien trouver place dans le dispositif du cinéma que dans le cadre d'expositions, montre que dans toute son histoire, le cinéma a engagé des mouvements en direction d'espaces régis par d'autres règles que celles qui président à une projection au sens classique, et qu'ainsi, les formes qu'il met en œuvre ont toujours été travaillées, de manière plus ou moins évidente, par d'autres lieux, par d'autres modes de figuration.
Les cinéastes qui accompagnent Erick Bullot dans sa réflexion sont d'époques et de géographies diverses. De l'avant garde des années trente aux films d'artistes qui sont nos contemporains — Fischli & Weiss, Tacita Dean, etc. —, du cinéma burlesque au mouvement Fluxus ou au surréalisme, les espaces ou le cinéma communique, fut-ce de manière fantsmagorique, avec l'art contemporain sont nombreux. Si la lecture de Maya Deren par Jean Epstein, dont l'ouvrage fait l'hypothèse critique, est une pure virtualité (alors que la réciproque est avérée), elle a néanmoins une portée euristique évidente, et éclaire singulièrement les films de l'un et l'autre cinéaste.
Au-delà des cheminements réflexifs souvent saisissants qu'il nous propose, Erik Bullot propose l'hypothèse audacieuse, qu'il a également avancée dans la conférence "Un film en moins" (1), que c'est dans les failles, les manques, les retraits que l'acte de création, et au-delà de lui, toute forme de présence, trouvent leurs conditions de réalisation. Partant, c'est en prêtant son attention à ce qui n'a peut-être pas eu lieu, ou alors s'est produit de manière invisible et secrète, qu'il peut montrer en quoi le cinéma et les arts performatifs mais aussi plastiques se rencontrent vraiment et peuvent - ou doivent, si l'on écoute l'injonction que nous adresse le titre de ce recueil critique - emprunter mutuellement les sillons tracés les uns pour les autres. Les pages consacrées à Jean-Luc Godard ou à Numéro 0 de Jean Eustache, si éclairantes, peuvent à cet égard tenir lieu de vade mecum aux cinéastes de la génération présente.
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(1) Conférence prononcée le 3 juin 2012, à l'occasion de l'exposition mise en place par pointligneplan sous le titre La fabrique des films, à la maison d'art Bernard Anthonioz de Nogent-sur-Marne.
Sortir du cinéma, Mamco, Genève, 2013 - 22 €